05/07/2025 investigaction.net  3min #283236

La folie au-dessus de nos têtes

Dr Ezzideen Shehab

Dr Ezzideen

C'est de nouveau la nuit.

Cela signifie que les drones sont de retour. Le son n'est plus un son. C'est une présence, comme une folie qui bourdonne au-dessus de votre tête. J'écris à la lueur de mon téléphone. Mes mains puent l'antiseptique, le sel et quelque chose que je ne nomme pas.

Il n'y a plus d'hôpitaux dans le nord. Plus de salles. Pas de lits. Pas même de murs. Il n'y a que cet endroit que nous appelons une clinique : un mi-corps, mi-fantôme de médecine, qui s'accroche à la vie comme ceux qui y pénètrent. Et ils viennent. Ils marchent, certains pendant plus de trente minutes, à travers les décombres, le silence et la fumée, juste pour une bande de gaze, un mot, une chance. Ils ne viennent pas chercher la guérison. Ils viennent parce qu'il n'y a plus d'autre endroit où saigner.

Aujourd'hui, une femme est venue. Trente-sept ans, mais elle bougeait comme si elle était déjà morte deux fois. Ses mains, que Dieu me pardonne, avaient l'air d'être passées dans un four. Fissurées. Saignantes. De l'eczéma ? Oui, de l'eczéma, ai-je dit comme un imbécile. Mais qu'est-ce que l'eczéma quand la mer est devenue votre évier ?

Elle m'a dit qu'elle lavait ses vêtements et sa vaisselle avec de l'eau de mer. Et du dentifrice. Non, pas de métaphore. Pas de la poésie. Du dentifrice. Parce que le savon coûte plus cher que la vie ici. Parce qu'elle vit dans une tente dressée entre la mort et le prochain missile.

Je lui ai dit que je lui donnerais de la crème. Je l'ai dit doucement, comme un mensonge que l'on chuchote à un enfant. Je voulais crier. Je voulais saisir ses épaules et crier : « Tu mérites une maison. Tu mérites un évier. Tu mérites d'avoir les mains propres. » Mais mes propres mains ne sont pas propres. Je n'ai pas crié. Je lui ai tendu la crème et j'ai détourné le regard.

Je ne suis plus médecin. Je suis un témoin. De l'assassinat lent de la dignité. D'un pays où la médecine est une farce cruelle et où la survie est un péché.

Comment soigner un corps quand c'est l'âme qui saigne ?

La mer devrait nettoyer. Mais ici, elle ronge. Même la mer est fatiguée de la pitié.

Et Dieu ? Il doit pleurer, comme nous tous.

Ce soir, je vais m'allonger et imaginer un monde où je n'aurais pas à m'excuser auprès de chaque patient d'être humain. J'imaginerai un monde où donner de la crème à quelqu'un ne serait pas une humiliation.
Mais je ne dormirai pas.
Personne ici ne dort vraiment.

On ferme les yeux et on attend le prochain cri...

Source :  Dr Ezzideen

Dr Ezzideen Shehab

Je suis médecin à Gaza. Chaque jour, je me déplace à travers les ruines, recousant des blessures que le monde ne verra jamais. Et la nuit, j'écris, parce que certaines vérités ne peuvent pas rester enfouies.

Si mes paroles vous sont parvenues, ce n'est pas par hasard. C'est parce que la souffrance exige d'être observée.

 Aidez-moi à mettre ce livre au monde. Pas pour la reconnaissance. Pas pour s'échapper. Mais parce que la mémoire, une fois écrite, ne s'efface pas


Une Palestinienne lave des vêtements sur la plage de Deir el-Balah (AFP)

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