08/09/2025 reseauinternational.net  37min #289793

 Venezuela : Le véritable objectif du Commandement Sud sur les côtes vénézuéliennes

Retour à la doctrine Monroe - Offensive impérialiste de Trump en Amérique latine

par Tiago Nogara

1. Le retour du «gourdin» et de la doctrine Monroe

Depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, le monde observe avec stupéfaction une politique étrangère américaine de plus en plus interventionniste et agressive, suscitant de vives inquiétudes quant à l'avenir de la politique internationale. Ces inquiétudes résultent non seulement du bilan de son précédent mandat, mais aussi de la résurgence croissante des politiques belliqueuses et unilatérales, qui ont progressivement réinvesti le devant de la scène ces dernières années, tendance amplifiée au début du nouveau mandat de Trump.

Compte tenu des promesses électorales faites sous le slogan familier «Make America Great Again» (MAGA), ces inquiétudes étaient loin d'être infondées. Et elles n'ont fait que s'amplifier avec les premières mesures prises par l'administration. Quelques jours après son entrée en fonction, les États-Unis ont déjà annoncé leur retrait de l'accord de Paris, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et même de l'accord fiscal mondial de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sur un ton menaçant, Trump a suggéré de faire du Canada le cinquante et unième État américain, a exprimé son intérêt pour l'annexion du Groenland et fait des propositions illégales et immorales, telles que la réinstallation des Palestiniens de Gaza dans d'autres pays afin de «nettoyer» la région. Il s'est pleinement aligné sur les intérêts israéliens au Moyen-Orient, donnant carte blanche au génocide du peuple palestinien à Gaza et allant jusqu'à bombarder le territoire iranien pour la défense de son allié préféré.

Mais c'est en Amérique latine que les menaces et les directives de Trump ont pris un tour encore plus belliqueux. Lors de son précédent mandat, il a déjà mené une politique d'encerclement et d'anéantissement contre le président vénézuélien Nicolás Maduro, en reconnaissant le gouvernement fantoche autoproclamé de Juan Guaidó et en imposant un large éventail de sanctions politiques et économiques au gouvernement légitime du Venezuela. Il a également «réchauffé» le dégel initié par Obama dans les relations avec Cuba, ajouté le Nicaragua à la liste des pays soumis à des sanctions illégales et unilatérales des États-Unis, soutenu le coup d'État contre Evo Morales en Bolivie et encouragé les attaques de l'extrême droite colombienne contre les accords de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l'Armée de libération nationale (ELN). Il a également affiché une opposition ouverte à la présence économique de la Chine en Amérique latine, favorisé la montée des mouvements néofascistes dans plusieurs pays et renforcé les politiques d'immigration discriminatoires, notamment en faisant construire un mur le long de la frontière mexicaine.

Moins d'un mois après l'entrée en fonction de la nouvelle administration, la politique de Trump envers l'Amérique latine prenait déjà clairement une orientation de crise hégémonique et d'interventionnisme radical, inscrits dans l'ADN de la diplomatie américaine. Ce n'est pas un hasard si le premier voyage officiel du secrétaire d'État, Marco Rubio, l'a mené dans les pays d'Amérique centrale et des Caraïbes. Depuis la visite de Philander Chase Knox au Panama, en 1912, durant la construction du canal, l'Amérique latine n'a plus jamais figuré sur la liste des destinations privilégiées d'un secrétaire d'État américain. (1)

Dès le début, le président a déclaré que le canal de Panama, géré directement par le Panama depuis 1999, devait revenir sous contrôle américain afin d'endiguer l'influence croissante de la Chine dans la région. Il a affirmé haut et fort que les États-Unis «n'ont pas besoin de l'Amérique latine», a annoncé son intention de renommer le golfe du Mexique «golfe de l'Amérique», menacé d'imposer des droits de douane exorbitants sur les produits brésiliens et signé un décret classant plusieurs cartels et organisations criminelles latino-américaines comme groupes terroristes, préparant ainsi le terrain à une intervention militaire directe des États-Unis dans la région. (2)

L'administration Trump s'est engagée à mener la plus grande campagne d'expulsion de l'histoire et a publié plusieurs décrets en ce sens. Ces décrets comprennent des mesures visant à mettre fin au droit du sol pour les enfants nés sur le sol américain de parents immigrés en situation irrégulière, à reprendre la construction du mur frontalier, à suspendre les procédures de demande d'asile, à déclarer l'état d'urgence à la frontière et à déployer des troupes de l'armée pour soutenir les opérations de lutte contre l'immigration irrégulière. Parallèlement, un processus d'expulsion massive a été lancé : des avions militaires ont acheminé des centaines d'immigrants latino-américains vers leur pays d'origine.

Les pratiques du personnel américain encadrant ces expulsions ont provoqué de graves incidents diplomatiques. Au Brésil, les expulsés sont arrivés menottés, ce qui a été jugé inacceptable et scandaleux par les autorités brésiliennes, qui ont officiellement protesté auprès du gouvernement Lula. En Colombie, la situation n'a fait qu'empirer. Le gouvernement colombien a d'abord refusé d'autoriser les avions américains à atterrir, exigeant que ses ressortissants soient traités avec dignité. En représailles, Trump a annoncé l'instauration de droits de douane de 25% sur les produits colombiens entrant sur le marché américain, pour les porter à 50% en une semaine, et a déclaré que les visas américains seraient révoqués et les voyages interdits pour les responsables colombiens et leurs soutiens. Le président colombien, Gustavo Petro, a réagi en imposant des droits de douane réciproques de 25% sur les produits américains, mais il a rapidement révisé sa position, acceptant d'accueillir sans condition les personnes expulsées afin d'éviter une nouvelle escalade.

Le bras de fer diplomatique avec la Colombie illustre les principaux contours de la stratégie de la nouvelle administration Trump pour l'Amérique latine. Les États-Unis et la Colombie ont conclu un accord de libre-échange en 2012, et les mesures proposées par Trump constituent une violation délibérée de cet accord. De plus, la Colombie est le seul pays d'Amérique du Sud à exporter principalement vers les États-Unis, bénéficie du statut d'allié extra-OTAN et accueille au moins sept bases militaires américaines actives. Ces premières mesures témoignent de l'intention de Trump d'utiliser les droits de douane et les sanctions pour contraindre les gouvernements régionaux à aligner leurs intérêts diplomatiques sur ceux des États-Unis, étendant ces tactiques bien au-delà des cibles habituelles que sont Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. En effet, les premières menaces de Trump ont concerné les gouvernements du Mexique, du Brésil et de la Colombie, suggérant ainsi que son offensive ne serait pas limitée par des frontières idéologiques, contrairement aux confrontations avec le Canada et le Danemark.

En Amérique centrale et dans les Caraïbes, régions historiquement les plus affectées par la politique du «bâton», les contours d'une nouvelle reconfiguration politique et économique ont rapidement pris forme. Les pressions exercées sur le Panama, notamment les menaces de reprise forcée de la zone du canal, ont incité le pays à se retirer de l'initiative «Belt and Road» et à transférer la gestion de deux ports du canal de la société hongkongaise CK Hutchison à la société américaine BlackRock. Au Costa Rica, Marco Rubio a approuvé les attaques du gouvernement contre le déploiement de la 5G par Huawei. Dans une déclaration officielle, le ministre costaricien des Affaires étrangères, Arnoldo André, s'est félicité de cette convergence avec les États-Unis, déclarant :

«Le Costa Rica a été reconnu, loué et applaudi par le sénateur Rubio pour avoir abordé ces questions conformément aux intérêts de la nouvelle administration américaine», reprenant ainsi une rhétorique alignée sur le cadre de la prétendue «nouvelle guerre froide» (3). Au Guatemala, soutenu par des secteurs radicaux américains, le président Bernardo Arévalo a maintenu la servilité diplomatique de son pays, allant même jusqu'à reconnaître Taïwan à titre diplomatique.

Les États-Unis, dans cette même optique, ont clairement tenté de discipliner leur allié régional, Nayib Bukele, président du Salvador, qui, malgré son orientation de droite et ses liens personnels avec Trump, a cherché à approfondir les relations de son pays avec la Chine. En avril, un article d'opinion publié dans le Wall Street Journal a critiqué la complaisance du gouvernement américain à l'égard des relations entre le Salvador et la Chine (4). Parallèlement, le renforcement des sanctions contre Cuba et le Nicaragua confirme la volonté de mettre en place un «cordon de sécurité» autour de ces pays, et bien sûr autour du Venezuela.

Plus au sud, la pression sur le Brésil s'est intensifiée à l'approche de la visite du président Xi Jinping ; plusieurs responsables américains se sont en effet opposés à l'adhésion potentielle du Brésil à l'initiative «Belt and Road». Bien que le Brésil n'ait pas officiellement adhéré à cette initiative, le gouvernement Lula a souligné les synergies entre ses programmes nationaux (le Programme d'accélération de la croissance, le plan «Nouvelle industrie brésilienne» et les couloirs d'intégration sud-américains) et l'initiative «Belt and Road». Les relations entre le Brésil et la Chine se sont encore intensifiées, avec des discussions en cours sur la construction d'un couloir ferroviaire biocéanique entre le Brésil et le Pérou, projet soutenu par l'expertise et les entreprises chinoises.

La crise diplomatique entre les deux pays en janvier dernier s'est produite dans un contexte de tensions stratégiques croissantes, notamment autour des relations entre la Chine et la Colombie. Traditionnellement alliée proche des États-Unis et seul «partenaire» de l'OTAN dans la région, la Colombie a emprunté une voie alternative en matière de politique étrangère sous la présidence de Gustavo Petro, remettant en cause l'hégémonie américaine et se rapprochant de la Chine. En 2023, Gustavo Petro a établi un partenariat stratégique avec Pékin et a passé plus d'un an à préparer l'adhésion de la Colombie à l'initiative «Belt and Road», officiellement annoncée lors du quatrième forum Chine-CELAC.

Sans surprise, l'Argentine a bénéficié des taux les plus bas lorsque Trump a annoncé l'instauration de droits de douane sur les produits de plusieurs pays, un résultat publiquement salué par Javier Milei. En tant que principal représentant de l'extrême droite inspirée par Trump en Amérique latine, Milei a clairement affiché sa volonté de sacrifier les intérêts de son peuple, voire de la classe dirigeante argentine, comme en témoignent ses tentatives de torpiller les relations lucratives avec la Chine, en échange d'une loyauté inconditionnelle envers Washington. Sous sa direction, l'Argentine s'est d'ailleurs retirée de l'initiative «Belt and Road», a abandonné le processus d'adhésion au BRICS+ et a boycotté le Forum Chine-CELAC de Pékin.

Deux autres alliés idéologiques du trumpisme dans la région, les gouvernements de Daniel Noboa en Équateur et de Nayib Bukele au Salvador, semblent moins enclins à s'aligner sur les tentatives anti-chinoises, reflétant ainsi la tension croissante entre la vision du monde de la droite américaine et les intérêts d'une partie de l'élite latino-américaine. Bien qu'ils partagent un programme anti-progressiste et entretiennent des liens étroits avec les secteurs conservateurs américains, ces dirigeants représentent également des fractions des élites économiques nationales dont la fortune est toujours plus dépendante de relations solides avec la Chine. Il est néanmoins indéniable que les États-Unis exercent un contrôle bien plus important sur Noboa et Bukele que sur leurs principaux adversaires : la Revolución Ciudadana en Équateur et le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) au Salvador. Voilà pourquoi les services diplomatiques et de renseignement américains n'ont pas hésité à soutenir les mesures douteuses et contestables entourant l'élection de Noboa, malgré les allégations de fraude de l'opposition.

Enfin, les sanctions lourdes et persistantes des États-Unis contre Cuba, le Nicaragua et le Venezuela ont encore été durcies au début du nouveau mandat de Trump, pour affaiblir leurs gouvernements et renforcer les forces politiques et sociales réactionnaires engagées dans des manœuvres de changement de régime.

2. Pourquoi l'Amérique latine revêt-elle une telle importance ?

Cette reconfiguration de la politique étrangère américaine n'est pas anodine. Contrairement à ce qu'affirme Trump, qui prétend que les États-Unis «n'ont pas besoin de l'Amérique latine», cette région est, selon le politologue argentin Atilio Borón, d'une importance capitale pour les États-Unis (5). Ce n'est pas un hasard si la doctrine Monroe a été formulée dès 1823. Bien avant que Woodrow Wilson n'esquisse les piliers d'un nouveau multilatéralisme mondial dans ses Quatorze Points, les États-Unis cherchaient déjà à établir un multilatéralisme régional par le biais des conférences panaméricaines, entamées en 1889. L'Organisation des États américains (OEA) et le Traité interaméricain d'assistance réciproque (TIAR) ont ensuite contribué à consolider un environnement décisionnel dans les Amériques, fonctionnant en dehors du multilatéralisme mondial et sous la surveillance étroite des États-Unis. Avant même que le maccarthysme ne soit propagé ou que les dispositions du plan Marshall ne contribuent à réprimer les partis communistes en Europe, les oligarchies latino-américaines ont été constamment incitées par les États-Unis à persécuter les principaux dirigeants des mouvements locaux des travailleurs et des paysans.

Ceux qui interprètent ces agissements comme de simples manifestations du «mépris» américain pour ce qu'ils considèrent comme leur «arrière-cour» se trompent. En réalité, les stratégies diplomatiques de Trump traduisent une volonté ferme de réorganiser l'équilibre des forces politiques et économiques dans la région. Cet objectif est directement lié à trois questions interdépendantes : la concurrence mondiale avec la Chine, le confinement des gouvernements de gauche en Amérique latine et le contrôle des ressources naturelles stratégiques.

L'Amérique latine possède en effet de vastes réserves de minéraux essentiels à la transition énergétique mondiale et au développement de technologies durables, comme le lithium, le cuivre ou encore le nickel. L'Amérique latine détient environ 60% des réserves mondiales de lithium, dont la plupart sont concentrées dans le «triangle du lithium» formé par le Chili, l'Argentine et la Bolivie (6). Elle produit également environ 40% du cuivre mondial, grâce aux importantes réserves et infrastructures minières de pays comme le Chili, le Pérou et le Mexique (7). Elle abrite également d'importantes réserves d'argent et d'étain, près d'un tiers de l'eau douce de la planète et une biodiversité exceptionnelle. Elle détient par ailleurs environ un cinquième des réserves mondiales de pétrole et de gaz, dont la plus grande réserve avérée au monde, située au Venezuela (8). Enfin, l'Amérique latine est le premier exportateur net de denrées alimentaires au monde et contrôle près d'un tiers des terres cultivables de la planète, principalement au Brésil. (9)

Cet appétit insatiable pour le contrôle de ces ressources n'a jamais été un secret. L'histoire regorge d'exemples illustrant les moyens déployés par Washington pour neutraliser les forces politiques et sociales latino-américaines opposées à ce programme. Il n'est pas nécessaire de revenir sur les débuts de la doctrine Monroe, sur la prise de contrôle violente de près de la moitié du territoire mexicain, sur les incursions de la flibuste en Amérique centrale et dans les Caraïbes, ou sur les coups d'État soutenus par la CIA et les guerres sales de la guerre froide. Il suffit d'observer le cycle plus récent de la montée et de la déstabilisation des gouvernements de gauche au début du XXIe siècle.

Les stigmates de l'impérialisme yankee sont en effet profondément inscrits dans l'offensive brutale contre les gouvernements progressistes de la «vague rose» latino-américaine, qui ont rejeté la proposition de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) lors du sommet de Mar del Plata en 2005, remis en cause le consensus de Washington et cherché à instaurer un multilatéralisme régional en dehors des cadres de l'OEA et du TIAR. Lorsque cela s'est avéré nécessaire, l'empire a eu recours à sa méthode éprouvée de la violence, comme en témoignent les sanctions politiques et économiques unilatérales, illégales et criminelles répétées contre Cuba, le Venezuela et, plus récemment, le Nicaragua. Cette même logique a sous-tendu le soutien explicite des États-Unis aux tentatives successives de coup d'État au Venezuela et en Bolivie, notamment l'enlèvement d'Hugo Chávez en 2002, la poussée sécessionniste dans la région de la Media Luna en Bolivie en 2008, les violentes guarimbas vénézuéliennes et le coup d'État sanglant de 2019 contre Evo Morales. (10)

Pourtant, l'offensive réactionnaire de Washington ne s'est pas uniquement manifestée par la violence ouverte. Elle a également affiné ses tactiques de «coups d'État en douceur» par le biais de la «guerre juridique» [ou «lawfare»] (11). En alimentant l'opération Car Wash (Lava Jato), les États-Unis ont réussi à démanteler les entreprises de construction brésiliennes concurrentes en Amérique latine, à compromettre gravement les activités de Petrobras, facilitant ainsi l'accès des entreprises étrangères aux réserves de pétrole pré-salifères du Brésil, et à déstabiliser et renverser le gouvernement de Dilma Rousseff, puis à emprisonner Lula (12). La guerre juridique avait déjà frappé le Parti des travailleurs (PT) avec le scandale «Mensalão», qui a temporairement écarté de la vie politique des personnalités clés telles que José Dirceu et José Genoíno. Des tactiques similaires ont conduit à la destitution de Manuel Zelaya au Honduras et de Fernando Lugo au Paraguay, à la démission du vice-président uruguayen Raúl Sendic, à la condamnation de l'ancienne présidente argentine Cristina Kirchner, de l'ancien président équatorien Rafael Correa et de son vice-président Jorge Glas, ainsi qu'à la destitution et à l'emprisonnement de l'ancien président péruvien Pedro Castillo. Il n'est donc pas surprenant que les gouvernements de la «Cuarta Transformación» du Mexique aient constamment souligné l'urgence de réformer le système judiciaire oligarchique de leur pays, à l'instar d'autres pays de la région.

Si ces manœuvres ont pu déstabiliser, voire renverser de nombreux gouvernements, elles n'ont pas réussi à éliminer les contradictions sociales qui continuent de pousser les peuples latino-américains à lutter pour de meilleures conditions de vie. Malgré les immenses défis auxquels ils sont confrontés, notamment des centaines de sanctions paralysantes, les gouvernements de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua sont toujours au pouvoir. Après le coup d'État de 2019, le Mouvement vers le socialisme (MAS) de Bolivie l'a emporté avec Luis Arce. Au Brésil, où l'extrême droite semblait autrefois dominer le paysage politique, Lula a été réélu, à la tête d'une coalition beaucoup plus conservatrice que lors de ses précédents mandats. Même la Colombie, pilier de l'influence américaine dans la région, n'a pas échappé à ce changement : l'élection de l'ancien guérillero Gustavo Petro marque un tournant spectaculaire dans la politique nationale. Les taux de popularité élevés d'Andrés Manuel López Obrador et de sa successeure, Claudia Sheinbaum, au Mexique, sont éloquents.

On serait tenté de soutenir que les gouvernements les plus radicaux ont été affaiblis et que les modérés ne représentent pas de menace pour les intérêts américains. Mais c'est précisément là que de nombreux analystes se trompent. Dans le contexte actuel, même les solutions modérées semblent insuffisantes pour maintenir l'hégémonie américaine dans la région ou à l'échelle mondiale. Cet affaiblissement ne s'explique pas seulement par les confrontations avec la gauche latino-américaine, mais surtout par la coopération croissante de la Chine avec l'Amérique latine et les Caraïbes.

Depuis que la Chine a rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il y a un peu plus de deux décennies, sa présence économique dans cette région n'a cessé de croître. Aujourd'hui, la Chine est le principal partenaire commercial de presque tous les pays d'Amérique du Sud. Les investissements directs chinois ont également augmenté, finançant des projets d'infrastructure ayant un impact régional significatif, comme le port de Chancay récemment inauguré au Pérou. Plus de vingt pays de la région ont rejoint l'initiative «Belt and Road» (BRI) et sont de moins en moins nombreux à maintenir des relations diplomatiques avec Taïwan, préférant reconnaître le seul gouvernement légitime de la Chine, Pékin. (13)

De plus, le principe directeur de la Chine, qui consiste à ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures des autres pays, a été bien accueilli par les dirigeants de tous bords idéologiques. Cette combinaison de croissance économique et de respect de la souveraineté a créé un dilemme majeur pour la diplomatie américaine. À l'époque de la guerre froide, des tactiques de contre-insurrection menées en partenariat avec les oligarchies latino-américaines permettaient de contenir le communisme et l'influence soviétique. Mais ces mêmes tactiques sont désormais insuffisantes pour contrer l'influence de la Chine. Aujourd'hui, les gouvernements de gauche ou nationalistes populaires ne sont plus les seuls à chercher à resserrer leurs liens avec Pékin. Même le gouvernement conservateur du Pérou, dirigé par Dina Boluarte, ne montre aucune intention de compromettre ses relations avec la Chine. Même les gouvernements d'extrême droite, comme ceux de Jair Bolsonaro et de Javier Milei, ont rencontré d'énormes difficultés pour mettre en œuvre des politiques anti-chinoises, car une grande partie de leurs élites nationales tirent profit de relations économiques solides avec Pékin.

D'où la récente recrudescence des déclarations publiques de hauts responsables américains critiquant la coopération croissante entre la Chine et l'Amérique latine. En juillet 2024, lors du Forum sur la sécurité d'Aspen, la cheffe du Commandement sud des États-Unis, Laura Richardson, a critiqué l'engagement de l'Amérique latine avec la Chine, déclarant :

«Ils ne réalisent pas tout ce que les États-Unis apportent à ces pays. Tout ce qu'ils voient, ce sont les grues chinoises, le développement et les projets de l'initiative «Belt and Road»». (14)

Elle a suggéré de lancer un nouveau «plan Marshall» pour la région afin de faire contrepoids aux initiatives chinoises. Au sujet des investissements chinois dans les infrastructures, Richardson a affirmé que ces projets seraient prétendument conçus pour un «double usage», laissant entendre qu'ils pourraient avoir des applications militaires et civiles. Plus tard, lors de l'ouverture de la Conférence sud-américaine sur la défense (SOUTHDEC) à Santiago du Chili, en août, elle a affirmé que les intérêts de ce qu'elle a appelé «les représentants de la démocratie» sont en contradiction avec ceux des «gouvernements autoritaires et communistes qui tentent de se saisir de tous les atouts possibles de l'hémisphère occidental, sans se soucier du droit national ou international». (15)

Katherine Tai, la représentante américaine au commerce, a ensuite mis en garde le Brésil contre une adhésion à l'initiative «Belt and Road». Reprenant les propos de Laura Richardson, elle a déclaré :

«La souveraineté est fondamentale, et c'est une décision qui appartient au gouvernement brésilien. Mais j'encourage mes amis brésiliens à examiner cette proposition avec objectivité, sous l'angle de la gestion des risques». (16)

Enfin, dans une interview accordée à Fox News le 10 avril, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, a accusé l'administration Obama d'avoir négligé l'influence croissante de la Chine en Amérique latine, et a déclaré que, sous l'administration Trump, les États-Unis vont récupérer leur «arrière-cour». Il a ajouté que des tentatives sont déjà en cours pour «reprendre le canal de Panama à l'influence communiste chinoise» (17). En contraste flagrant, le 14 avril, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a répondu que les pays d'Amérique latine ne sont «l'arrière-cour de personne» et que «les peuples d'Amérique latine veulent tracer leur propre voie». (18)

C'est dans ce contexte plus général que les discours anti-Chine, désormais familiers, ont émergé et se sont multipliés. S'appuyant sur les métaphores anticommunistes de l'époque de la guerre froide, ces discours recyclent des accusations infondées de «totalitarisme», d'«impérialisme chinois» et de «pièges de la dette». La plupart d'entre eux traduisent la vision du monde du camp anti-Chine radical, qui s'oppose ouvertement à toute preuve du succès de la République populaire de Chine (19), et exerce une influence considérable sur les cercles de pouvoir influents du monde nord-atlantique, comme en témoignent les récentes déclarations de hauts responsables de l'administration de Donald Trump.

Ainsi, lorsque Trump accuse le Brésil de vouloir «nuire» aux États-Unis, ce n'est pas parce que le gouvernement de Lula est ouvertement anti-impérialiste, mais parce qu'il refuse de participer au jeu déloyal consistant à contenir la Chine et à museler les gouvernements voisins rebelles. Parallèlement à la pression qu'il exerce depuis le début sur les administrations Petro et Sheinbaum en matière de migration, Trump a également donné le feu vert à des mesures interventionnistes en classant plusieurs cartels latino-américains comme organisations terroristes. Ces développements ne sont pas le fruit du hasard, mais coïncident avec les appels des anciens présidents colombiens Álvaro Uribe et Iván Duque en faveur d'une intervention militaire internationale au Venezuela. Les médias conservateurs, eux, accusent Petro de complaisance envers l'ELN et insistent pour présenter le groupe insurgé comme une simple faction criminelle, un outil politique du gouvernement de Nicolás Maduro.

Toutes ces mesures s'inscrivent dans une stratégie plus large dont l'objectif est d'affaiblir la présence de la Chine en Amérique latine et de rétablir pleinement l'hégémonie nord-américaine sur le continent, un objectif conditionné par la capacité à neutraliser les gouvernements progressistes et les mouvements sociaux latino-américains.

3. La modération ? Place à l'assaut contre le Brésil, test grandeur nature

Le contexte global a incité les États-Unis à intensifier leur unilatéralisme et à imposer leur volonté par la force dans la région. Les solutions modérées et fondées sur le compromis ne suffisent plus à satisfaire les intérêts de l'empire. Plus que jamais, les États-Unis se tournent vers des gouvernements fantoches prêts à sacrifier non seulement les intérêts de leurs propres peuples, mais aussi ceux d'une part importante de leurs élites nationales. Après tout, le déclin de l'hégémonie américaine sur la scène mondiale ne fait plus aucun doute, comme en témoignent ses défaites récurrentes dans la course technologique contre la Chine, dont le dernier exemple en date est la perte stupéfiante d'un trillion de dollars subie par les grandes entreprises technologiques américaines après la sortie de DeepSeek, une application chinoise d'intelligence artificielle. (20)

Ce n'est pas un hasard si Elon Musk, qui occupait un statut quasi ministériel au début de l'administration Trump, soutient ouvertement les activités d'extrême droite en Amérique latine. Il a publiquement défendu le coup d'État de 2019 en Bolivie, entretient des liens étroits avec Nayib Bukele et Javier Milei, et s'est récemment publiquement opposé au gouvernement de Lula au Brésil (21). Musk a tout intérêt à concurrencer la Chine dans plusieurs secteurs technologiques, d'où son implication croissante dans le triangle du lithium et ses tentatives de déstabilisation politique du Brésil, pays en passe de devenir une plaque tournante de la production chinoise de véhicules électriques. Le phénomène Trump et la refonte envisagée des relations avec l'Amérique latine ne sont pas le fruit d'une mégalomanie, mais plutôt la concrétisation des intérêts des milliardaires américains déterminés à défendre leurs profits colossaux.

Comme c'est toujours le cas dans la politique étrangère américaine, le maintien d'un contrôle sans restriction sur l'Amérique latine constitue une condition préalable au renforcement de la projection mondiale du pays. Les États-Unis n'oseraient pas s'engager dans un conflit à grande échelle au Moyen-Orient ou en Asie de l'Est sans avoir au moins obtenu un contrôle partiel des vastes réserves pétrolières du Venezuela. Sans contrôle de ces réserves, ils ne peuvent espérer imposer leurs directives anti-chinoises à leurs alliés extra-hémisphériques.

Les tentatives de remodelage du paysage politique de la région sont donc directement liées aux résultats des élections de cette année et de l'année prochaine, avec des échéances décisives en Bolivie, au Chili, au Honduras, en Colombie et au Brésil, où les États-Unis chercheront à vaincre un large éventail de gouvernements progressistes. La Bolivie est depuis longtemps la cible d'interventions américaines, comme en témoignent les déclarations publiques d'Elon Musk concernant le coup d'État de 2019 contre Evo Morales. Aujourd'hui, le président Luis Arce est confronté à des difficultés liées aux divisions internes au sein du MAS, entre son propre soutien et celui d'Evo Morales. Les espoirs de la droite de revenir au pouvoir par les urnes après plus de deux décennies sont donc visiblement favorisés par les intérêts stratégiques de Washington.

Ces dernières années, le Honduras a pris une direction nettement différente, établissant des relations diplomatiques avec la Chine en 2023 sous la présidence de Xiomara Castro. Mme Castro cherche désormais à s'assurer que son successeur maintiendra une orientation politique progressiste et approfondira les relations du pays avec la Chine. En revanche, le probable candidat du Parti libéral, Salvador Nasralla, s'est publiquement opposé à un éventuel accord de libre-échange avec la Chine et a critiqué la rupture des relations diplomatiques avec Taïwan.

Au Chili, l'opposition de droite au président Gabriel Boric rassemble plusieurs personnalités conservatrices de premier plan, dont Johannes Kaiser, qui tient un discours libertaire d'extrême droite similaire à celui de Javier Milei. Parallèlement, les États-Unis ont clairement tenté de réorienter la Colombie vers leurs intérêts stratégiques et commerciaux. La Colombie est non seulement un partenaire commercial clé, mais aussi un acteur central de la stratégie de Washington d'isoler le Venezuela et de limiter l'influence de la Chine en Amérique du Sud.

Le Brésil sera probablement le théâtre de la bataille électorale la plus significative de la région. Le président Lula briguera un nouveau mandat contre un candidat qui reste à définir, mais qui bénéficiera du soutien de Jair Bolsonaro, actuellement inéligible. Rappelons que sous le dernier gouvernement Bolsonaro, le Brésil s'est officiellement retiré de la Communauté des États latino-américains et caraïbes (CELAC), a démantelé l'Union des nations sud-américaines (UNASUR) et sabordé d'autres organismes d'intégration régionale qui avaient pris de l'importance au cours de la décennie précédente. Le soutien de Bolsonaro est clairement aligné sur le trumpisme : il brandit fréquemment des drapeaux américains et israéliens lors de manifestations au Brésil.

En guise de prélude à la déstabilisation du gouvernement Lula soutenue par les États-Unis, le président Trump a considérablement intensifié la posture unilatérale et agressive de la politique étrangère américaine, orchestrant une série d'attaques conjointes contre le Brésil et ses tentatives de construire un nouvel ordre mondial multipolaire. À la suite du sommet des BRICS à Rio de Janeiro, qui s'est soldé par une déclaration marquante en faveur du multilatéralisme et de la coopération Sud-Sud, Trump a menacé d'imposer des droits de douane de 10% sur les produits en provenance des pays soutenant, selon lui, les «politiques anti-américaines» des BRICS (22). Il a ensuite engagé une nouvelle phase de sa guerre commerciale mondiale, ciblant explicitement le Brésil, sous prétexte d'irrégularités commerciales présumées, mais aussi pour s'ingérer dans le processus politique interne du pays en faveur de son allié idéologique, Jair Bolsonaro. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, a par ailleurs menacé le Brésil, l'Inde et la Chine de sanctions secondaires en raison de leurs relations diplomatiques et économiques avec la Russie.

Contrairement aux prévisions alarmistes des think tanks et des médias occidentaux, le sommet des BRICS à Rio a déjoué les prédictions de division et de stagnation. Lors de leur dix-septième réunion de haut niveau, les dirigeants des BRICS ont approuvé plus de 120 engagements communs concernant la gouvernance mondiale, les finances, la santé, l'intelligence artificielle, le changement climatique et le développement durable. La Déclaration de Rio a notamment soulevé des préoccupations urgentes concernant les dépenses militaires mondiales au détriment du développement dans les pays du Sud. Contrairement à la rhétorique militariste dominante, le bloc a réaffirmé son engagement en faveur du multilatéralisme, de l'éradication de la pauvreté et de la lutte contre le changement climatique. Parmi les initiatives adoptées, citons la déclaration-cadre des dirigeants des BRICS sur le financement des mesures de lutte contre le réchauffement climatique, la déclaration sur la gouvernance mondiale des technologies de l'intelligence artificielle et le partenariat des BRICS pour l'élimination des fléaux sociaux. Loin d'être insignifiants, les BRICS se sont imposés comme les principaux précurseurs d'un ordre mondial pacifique et multipolaire.

En outre, le Brésil et la Chine ont progressé à l'occasion de réunions bilatérales en marge du sommet dans les préparatifs de la construction d'une voie ferrée bi-océanique en Amérique du Sud. Ce projet, traversant le Brésil et le Pérou, offrirait une connexion terrestre directe avec le port de Chancay, sur la côte Pacifique, réduisant ainsi la dépendance au canal de Panama et permettant d'améliorer et de simplifier les échanges commerciaux entre Amérique latine et Asie.

Compte tenu des démêlés judiciaires de son allié brésilien Jair Bolsonaro, déclaré inéligible pour les élections de 2026 et accusé de complot pour renverser le gouvernement de Lula, Trump a décidé d'intervenir ouvertement dans les affaires intérieures du Brésil. Le fils de Bolsonaro, le député fédéral Eduardo Bolsonaro, a tout simplement abandonné son siège à Brasilia pour s'installer aux États-Unis, où il travaille activement avec l'équipe de Trump pour faire lever la sanction politique qui frappe son père et relancer l'extrême droite au Brésil. Cette offensive dépasse donc le cadre économique : il s'agit d'une attaque politique calculée destinée à fragiliser la coalition qui a vaincu les forces réactionnaires et conservatrices en 2022.

Selon le président Trump et les bolsonaristes, la taxation des exportations brésiliennes vers les États-Unis, qui sont essentielles aux profits de nombreux secteurs industriels, permettrait de rompre l'alliance entre Lula et une partie de l'élite économique nationale. Cette manœuvre aurait permis de constituer un front uni d'élites plaidant pour la libération de Bolsonaro et la levée de son inéligibilité, en échange du rétablissement des relations commerciales entre le Brésil et les États-Unis.

Mais cette stratégie s'est finalement retournée contre eux. La soumission des extrémistes brésiliens, partis à Washington réclamer des sanctions contre leur propre pays, a en effet suscité une forte réaction de fierté nationale et de rejet. Les mouvements sociaux et les organisations populaires brésiliennes se sont mobilisés sur l'avenue Paulista, à São Paulo, occupant plus de trois pâtés de maisons, pour défendre la souveraineté nationale et exiger des avancées en matière de justice sociale, notamment la récente proposition de Lula d'augmenter les impôts des multimillionnaires. Parallèlement, de larges secteurs de l'opposition conservatrice ont baissé les armes et se sont ralliés au président pour former un front d'unité nationale contre l'agression impérialiste, condamnant la position lâche et soumise de l'extrême droite.

Le gouvernement a alors invoqué la loi sur la réciprocité économique pour annoncer l'imposition de sanctions commerciales symétriques et protéger l'industrie nationale. Cette mesure a été approuvée par le Congrès, les fédérations d'entreprises et même les médias privés influents. Le journal conservateur Estadão a publié un éditorial condamnant la soumission des bolsonaristes aux puissances étrangères, et le journal télévisé Jornal Nacional, lié au principal oligopole médiatique privé brésilien de droite Rede Globo, a offert à Lula une tribune en prime time pour s'adresser directement aux téléspectateurs (23). Au Parlement, les législateurs d'extrême droite, de plus en plus marginalisés, ont vu les secteurs conservateurs faire défection pour soutenir le gouvernement. Enfin, Lula a publié une déclaration publique invitant le pays à faire preuve d'unité pour défendre la souveraineté nationale, favoriser le développement économique et promouvoir la justice sociale, tout en dénonçant la trahison de ceux qu'il a qualifiés de traîtres à la nation.

Le leadership de Lula a redéfini le paysage politique, rassemblant les mouvements sociaux, les démocrates de gauche, les factions de la classe moyenne et certains pans de la bourgeoisie industrielle. Les derniers sondages montrent une forte hausse de la popularité du gouvernement et une baisse marquée du soutien à Bolsonaro. Lula réapparaît comme le fer de lance d'un projet national axé sur la souveraineté et la justice sociale.

Ce que Trump et ses conseillers ne comprennent tout simplement pas, c'est que la dynamique du pouvoir mondial a changé. Si les principales industries brésiliennes dépendent toujours du marché américain, la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil depuis 2009. La politique étrangère pragmatique et universaliste du Brésil permet une diversification stratégique grâce à des accords conclus en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Le ministère des Affaires étrangères a déjà entrepris des démarches pour réorienter les exportations.

Même les élites les plus conservatrices du Brésil sont en désaccord avec la campagne anti-chinoise de Washington et rejettent fermement toute ingérence dans les affaires nationales. Le leadership réaffirmé de Lula retrouve ainsi une nouvelle légitimité sous la bannière de la souveraineté nationale et de la justice sociale.

En brandissant son «gourdin» contre le Brésil, le président Trump a involontairement renforcé l'unité qu'il cherchait à briser. Cette approche révèle les faiblesses de la politique internationale des États-Unis, incapables de contrer l'essor de la Chine, l'émergence des BRICS ou la mobilisation populaire en Amérique latine. En tentant de faire reculer le Brésil - et le monde -, il ne fait qu'accélérer la marche de l'histoire dans la direction opposée, vers la régression. Avec Lula à la barre, l'alliance démocratique et populaire du Brésil, la dynamique des BRICS et le renouveau de la solidarité Sud-Sud sont autant de garanties que le Brésil ne cédera pas au chantage et que l'histoire suivra son cours.

4. Pas de victoire sans lutte

À la lumière de tous ces développements, les peuples d'Amérique latine doivent pleinement prendre conscience du rôle central que jouent leurs terres et leur destin dans le réalignement mondial actuel des pouvoirs. Il est indéniable que deux éléments constituent le cœur de la stratégie de l'administration Trump pour la région : la pression diplomatique croissante sur les gouvernements latino-américains et les tentatives visant à remodeler l'équilibre des pouvoirs en soutenant les éléments réactionnaires. Les principaux objectifs consistent à affaiblir les liens de l'Amérique latine avec la Chine et à contenir la nouvelle expansion des gouvernements progressistes.

Les événements récents ont toutefois révélé les principales vulnérabilités de cette stratégie. L'unilatéralisme, les menaces tarifaires et le chantage déployés par les États-Unis suscitent la méfiance et la discorde, y compris parmi certains de leurs alliés les plus proches. Les alliés de Trump, comme Daniel Noboa et Nayib Bukele, ont hésité à soutenir pleinement l'offensive anti-chinoise, tandis que d'autres gouvernements conservateurs, comme celui de Dina Boluarte au Pérou, hésitent à adopter la rhétorique d'une «nouvelle guerre froide». L'offensive américaine a même poussé certains gouvernements progressistes à radicaliser leurs positions en réponse à l'hégémonie nord-américaine, comme en témoigne le ton du président Petro annonçant l'adhésion de la Colombie à l'initiative «Belt and Road».

Dans le cas du Brésil, les attaques et les menaces contre le gouvernement Lula l'ont sans doute involontairement renforcé, dépeignant l'extrême droite bolsonariste comme des traîtres à la nation pour avoir appelé à des sanctions contre leur propre pays depuis la Maison-Blanche.

Bien que le Brésil continue d'approfondir ses relations avec la Chine, la pression américaine a clairement joué un rôle majeur et a fait obstacle à l'annonce officielle de l'adhésion du pays à l'initiative «Belt and Road», qui aurait considérablement renforcé la portée symbolique du rapprochement bilatéral. La posture agressive des États-Unis en faveur d'un changement de régime et de la déstabilisation des gouvernements progressistes va de pair avec leur soutien indéfectible aux forces réactionnaires d'extrême droite. Le soutien tacite des États-Unis à la réélection frauduleuse de Noboa en Équateur, les préparatifs de coup d'État en Colombie et la tentative actuelle de déstabilisation du gouvernement de Lula sont des indicateurs clairs d'une période de défis politiques et électoraux accrus pour les forces progressistes dans la région. (24)

Toutefois, les mutations structurelles rapides que connaît actuellement le monde étendent la marge de manœuvre politique et économique des pays en développement. Les relations entre l'Amérique latine et la Chine n'en sont que plus indispensables, comme en témoignent le succès et les orientations du quatrième forum Chine-CELAC, axé sur une vision commune du développement, du multilatéralisme et de la coopération Sud-Sud. Le renforcement de ces liens ne relève pas seulement du protocole diplomatique ; c'est une nécessité vitale pour garantir l'autonomie et l'avenir de la région.

Cependant, il faut également reconnaître que le démantèlement total de l'impérialisme en Amérique latine ne dépendra pas uniquement des actions internationales des gouvernements nationaux, aussi cruciales soient-elles. Elle repose notamment sur la capacité des courants progressistes et populaires à résister, dans chaque pays, à l'alliance historique entre les élites oligarchiques opportunistes et les bellicistes de Washington, qui tentent de ranimer le spectre de la doctrine Monroe.

source :  Orinoco Tribune via  Spirit of Free Speech

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