26/08/2025 arretsurinfo.ch  5min #288427

Et si l'Afrique s'éveille

Par  Mauricio Herrera Kahn

(Crédit image: Xinhua)

Lorsque le continent le plus pillé se réveillera, les fondements de l'histoire trembleront.

L'Afrique n'est pas pauvre. C'est un continent appauvri. Pendant des siècles, ses ressources ont été extraites, trafiquées, appropriées et vendues au nom du progrès européen et du développement occidental. Mais derrière chaque mine de coltan, chaque plantation de cacao, chaque puits de pétrole, se cache une histoire de dépossession qui perdure.

Les reportages font état de famines, de guerres et d'épidémies. Mais ils n'expliquent presque jamais que ces guerres sont financées, que cette famine a des origines coloniales et que les épidémies surviennent dans des territoires dévastés par les entreprises extractives. L'Afrique ne s'est pas effondrée d'elle-même. Elle a été provoquée.

Avant la colonisation, l'Afrique était une mosaïque de civilisations, d'empires et de savoirs. L'Empire du Mali, dont la capitale était Tombouctou, était un centre de savoir et de commerce. L'Éthiopie résistait à la conquête. L'Égypte n'a pas commencé avec Cléopâtre. Les Zoulous, les Songhaïs, les Yoroubas, les Ashantis, les Nubiens... Ce n'étaient pas des tribus perdues. C'étaient des nations.

Tout cela fut balayé par la cupidité européenne. À partir du XVe siècle, l'Afrique fut divisée à la règle et au compas. Ses habitants furent traités comme des marchandises. On y extrayait de l'or, de l'ivoire, des esclaves, du pétrole, du caoutchouc, du cuivre et du coltan. Des frontières artificielles furent imposées. Langues, cultures et dieux furent effacés. Des dictateurs furent installés, des guerres éclatèrent. La colonisation formelle prit fin, mais pas le pillage.

Aujourd'hui, nombre de ces pays restent prisonniers du piège de la dette, d'accords de libre-échange qui les appauvrissent et de sociétés étrangères qui extraient tout sans rien laisser derrière elles. L'Afrique produit ce qu'elle ne consomme pas et consomme ce qu'elle ne produit pas. Elle exporte des matières premières à des prix défiant toute concurrence et importe des produits raffinés aux prix européens. C'est une usine contrainte de vendre à bas prix ce qui est cher. Elle est le dernier maillon d'une chaîne mondiale injuste.

Mais quelque chose est en train de changer. L'Afrique ne veut plus se taire. Elle compte 1,4 milliard d'habitants, la population la plus jeune de la planète, de vastes réserves de minéraux stratégiques, de pétrole, de gaz, de soleil, de vent et d'eau. Elle possède sa propre technologie, des mouvements sociaux dynamiques, des dirigeants émergents qui refusent que l'histoire se répète. Elle a l'Union africaine qui commence à prendre des décisions communes. Elle a de jeunes programmeurs à Lagos, des ingénieurs à Nairobi, des écrivains à Kinshasa. Elle a de la fierté. Elle a de la mémoire. Elle a de la colère et un horizon.

La Chine a déjà compris ce potentiel. La Russie aussi. L'Inde et le Brésil observent la situation de près. L'Occident, quant à lui, continue de croire qu'il peut dicter ses règles, déployer des troupes, conclure des accords avec les oligarchies et continuer à qualifier l'aide d'exploitation.

Mais le monde multipolaire émergent a besoin de l'Afrique comme acteur, et non comme victime. Et l'Afrique a besoin d'être unie. Non pas comme une caricature de l'unité continentale, mais comme un projet politique et économique durable.

Si l'Afrique crée un bloc régional souverain, disposant du contrôle de ses ressources stratégiques, d'une monnaie africaine adossée à ses richesses, de traités entre égaux et non subordonnés, elle ne sera pas seulement le continent du futur. Elle sera le centre de gravité d'un monde nouveau.

Car si l'Afrique décide de cesser de vendre du coltan incontrôlé, de céder du pétrole en échange de dettes, d'accueillir davantage de soldats sans souveraineté, d'accepter davantage de discours racistes déguisés en coopération, alors elle ne changera pas seulement ses frontières. Elle changera la planète.

Et si l'Afrique s'éveille ?

L'Europe ne pourra alors plus donner de leçons de démocratie tout en expulsant des migrants par bateaux. Les États-Unis ne pourront plus échanger des armes contre des minerais. Le Fonds monétaire international ne pourra plus imposer de nouveaux plans d'austérité tout en se réjouissant de ses bilans. Et les multinationales devront commencer à payer des impôts, des salaires et des indemnités pour les dommages causés.

Ce sera un continent qui s'exprimera de sa propre voix, signera des traités en bloc, exigera des réparations et construira son modèle de développement sans reproduire celui du colonisateur. Ce sera une puissance culturelle, technologique, alimentaire et énergétique. Elle ne sera copiée par personne. Ce sera l'Afrique.

Aujourd'hui encore, les médias le présentent comme un endroit où tout reste à faire. Mais peut-être faut-il que le monde le voie tel qu'il est déjà. Et que les Africains n'attendent pas qu'on le leur dise.

Car le jour où l'Afrique s'élèvera vraiment, elle cessera de demander la permission. Et alors, les empires de papier trembleront. Non pas parce que l'Afrique veut se venger, mais parce qu'elle veut justice. Non pas parce qu'elle détruira, mais parce qu'elle reconstruira ce qui lui a été volé.

Et ce jour-là, le Sud ne sera plus un concept. Il sera un acteur. Et le continent qui a le plus souffert deviendra celui qui offre le plus d'enseignements. Car lorsque la dignité s'éveille, aucun empire ne pourra la faire retomber dans le sommeil.

Par  Mauricio Herrera Kahn

Mauricio Herrera Kahn, ingénieur civil mécanicien diplômé de l'Universidad Técnica del Estado (U25.08.25 - Santiago du Chili -  Mauricio Herrera Kahn

Source:  Et si l'Afrique s'éveille

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