26/08/2025 investigaction.net  9min #288423

 Gaza - 5 journalistes assassinés dans une double attaque contre l'hôpital Nasser

Tuer un journaliste palestinien, Ok. Mais cinq, c'est trop!

Jonathan Cook

AFP

Les médias légitiment l'assassinat de journalistes par Israël, et ils le font parce qu'ils sont les propagandistes racistes d'un système de contrôle colonial occidental au Moyen-Orient.

Comment est-il possible qu'un journaliste de la BBC ait formulé l'observation obscène suivante dans son reportage sur l'assassinat, le week-end dernier, par Israël, du journaliste d'Al-Jazeera Anas al-Sharif : « Il y a la question de la proportionnalité. Est-il justifié de tuer cinq journalistes alors que l'on n'en visait qu'un seul ? »

Décortiquer les présupposés journalistiques dépravés qui se dissimulent derrière cette brève « question » n'est pas chose aisée.

Notons d'abord, en passant, l'hypothèse totalement erronée selon laquelle Israël n'aurait voulu tuer qu'un seul journaliste, Al-Sharif. Tout porte à croire qu'en tuant plus de 200 journalistes palestiniens à Gaza au cours des deux dernières années et en excluant tous les journalistes occidentaux de l'enclave, Israël a cherché à s'assurer que ses crimes génocidaires restent sans témoins. Il élimine systématiquement ceux qui sont les mieux placés pour attester de ses actes.

La raison, trop évidente, pour laquelle Israël a anéanti toute l'équipe de presse d'Al-Jazeera à ce moment précis est que l'armée israélienne s'apprête à envahir la ville de Gaza et à commettre encore plus d'atrocités du même genre.

Mais creusons un peu plus. Si vous n'êtes pas profondément choqué que la BBC - un prétendu service public - ait jugé approprié de diffuser le commentaire ci-dessus, surtout après qu'Israël a tué plus de journalistes à Gaza que dans toutes les grandes guerres occidentales des 150 dernières années, considérez ceci.

Imaginons qu'Israël autorise enfin les journalistes occidentaux à pénétrer dans la bande de Gaza après leur avoir interdit l'accès pendant près de deux ans. Une équipe de cinq visages familiers de la BBC qui couvrent la région installe ses quartiers à Gaza et travaille depuis un studio improvisé à l'intérieur de l'enclave.

Puis la nouvelle tombe : leur studio a été touché par une frappe israélienne et les cinq membres de l'équipe ont été tués - Jeremy Bowen, Lyse Doucet, Yollande Knell, Lucy Williamson et Jon Donnison.

Israël ne prétend pas que la frappe était une erreur, mais célèbre les meurtres. Il affirme détenir des preuves secrètes montrant que l'un d'entre eux - disons Jon Donnison, celui qui a tenu les propos cités plus haut - aurait été secrètement recruté par la branche armée du Hamas alors qu'il se trouvait dans l'enclave.

Peut-on imaginer la BBC ou tout autre média occidental présenter le sujet en ces termes : « Il y a la question de la proportionnalité. Est-il justifié de tuer cinq journalistes alors que l'on n'en visait qu'un seul ? »

Nous connaissons tous la réponse. La couverture médiatique partirait, à juste titre, du fait qu'Israël a tué cinq journalistes - les derniers d'une longue série - en violation du droit international.

Le ton serait celui d'une indignation totale. Le cadrage, là encore à juste titre, présumerait qu'il n'existe aucune justification possible à une telle attaque contre des civils. L'affirmation israélienne selon laquelle Donnison travaillait alors à titre militaire pour le Hamas serait balayée avec un mépris absolu - à moins qu'Israël ne puisse produire des preuves solides.

Deux poids, deux mesures racistes

Si cette comparaison vous heurte, d'une manière ou d'une autre - comment peut-on assimiler le meurtre de Jon Donnison à celui d'Al-Sharif ? - permettez-moi de vous suggérer que la puissance de la propagande israélienne et occidentale a fait son œuvre sur vous.

L'affirmation d'Israël selon laquelle le journaliste primé Al-Sharif aurait en réalité été un commandant du Hamas tout en exerçant une activité parallèle de journaliste pour Al-Jazeera n'est pas moins absurde que de prétendre que Donnison aurait pu faire la même chose.

D'une part, couvrir un génocide comme l'a fait Al-Sharif - en particulier lorsque des centaines de vos collègues sont éliminés par Israël un à un - est plus qu'un travail à plein temps : c'est un mode de vie, un sacerdoce.

Sans doute, bien que je sois moins au fait de ce domaine, en va-t-il de même pour le rôle de commandant d'une cellule du Hamas.

Une armée de drones israéliens espionne l'enclave jour et nuit depuis le ciel de Gaza. Toute personne identifiée par Israël comme un commandant du Hamas, ou même comme un simple agent subalterne, serait placée sous surveillance constante et contrainte de se déplacer dans l'ombre, vivant sous terre le plus souvent possible.

De même, le téléphone de chaque Palestinien à Gaza est  mis sur écoute par l'Unité 8200 et ses appels sont enregistrés sur les serveurs de Microsoft.

L'idée qu'Al-Sharif puisse consacrer quelques heures par jour à diriger une opération de guérilla dans ces conditions, tout en apparaissant devant les caméras toutes les quelques minutes pour rendre compte du dernier massacre à Gaza, est si insensée que personne - et surtout pas une grande organisation de presse comme la BBC - ne devrait lui accorder la moindre once de crédibilité.

Après tout, si Israël avait réellement identifié Al-Sharif comme un commandant du Hamas, il disposerait de montagnes de renseignements collectés par sa machine de surveillance. Au lieu de cela, il a produit quelques bribes de « preuves » insignifiantes que même moi, je pourrais rassembler en quelques minutes à l'aide de ChatGPT.

Encore une fois, personne ne devrait citer cela comme preuve, pas plus qu'on ne le ferait si c'était Donnison qui faisait l'objet de ces accusations. Agir ainsi revient à légitimer l'assassinat de journalistes par Israël. C'est exactement ce que font la BBC et le reste des médias occidentaux - et ils le font parce que les journalistes tués sont palestiniens. Ils le font parce qu'ils sont les propagandistes racistes d'un système de contrôle colonial occidental au Moyen-Orient.

Mais, me rétorquerez-vous : n'est-il pas vrai qu'Al-Sharif a travaillé, avant le 7 octobre 2023, au service de presse du Hamas ?

Et la réponse, si c'est exact, est : et alors ? Le Hamas était l'administration dirigeante de Gaza. Il gérait les services publics de l'enclave, les écoles, les hôpitaux. Ses attachés de presse étaient là pour communiquer les politiques publiques.

Donnison, Bowen, Doucet, Knell et Williamson travaillent pour le radiodiffuseur public britannique. Ils travaillent pour un État qui viole actuellement les principes les plus élémentaires du droit international en armant Israël et en  espionnant Gaza pour le compte d'un autre État engagé activement dans des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et un génocide. Cela fait-il d'eux des cibles légitimes pour que le Hamas les tue s'ils couvrent l'actualité à Gaza ?

Si votre réponse est « non », alors cessez de colporter un double standard dépravé et raciste.

Un récit scandaleux

Israël a trouvé un terrain acquis en Grande-Bretagne et dans d'autres capitales occidentales [Paris peut prétendre à la médaille d'or] pour promouvoir l'idée que toute personne ayant le moindre lien avec l'administration de Gaza est donc entachée de terrorisme et constitue une cible légitime. En pratique, cela désigne une grande partie des classes professionnelles.

Israël a systématiquement assassiné, emprisonné et torturé des soignants à Gaza en les qualifiant « d'agents du Hamas », au motif que les hôpitaux de l'enclave étaient gérés par [l'administration civile du] Hamas. Il a attaqué et détruit tous les hôpitaux de Gaza pour les mêmes raisons.

L'idée qu'Israël puisse raser les hôpitaux de Gaza a d'abord choqué les observateurs. Mais les médias occidentaux, comme la BBC, ont rapidement normalisé ces crimes contre l'humanité, alors même que la population de Gaza se retrouvait privée de tout service médical en pleine campagne de bombardements à saturation menée par Israël et sous une politique de famine de masse.

Israël a agi de même avec les journalistes de Gaza : il a laissé entendre que tout lien, même infime, avec le parti au pouvoir, justifiait leur assassinat. Et les journalistes occidentaux, comme ceux de la BBC, cautionnent ce récit scandaleux.

Le gouvernement britannique, pour lequel travaillent des journalistes comme Donnison, fixe l'ordre du jour que les journalistes de la BBC, en tant que sténographes de l'État, s'emploient à suivre. [En France, Le Monde et bien d'autres médias, qui continuent à parler de « Guerre Israël-Hamas » depuis bientôt deux ans, ne valent guère mieux].

Un amendement, en 2021, à la loi britannique de 2000 sur le terrorisme a fait que, pour la première fois,  les branches militaire, politique et administrative du Hamas ont été traitées comme indiscernables. Elles sont toutes supposées se livrer au terrorisme. Pour cette raison, afficher le moindre soutien, même se contenter d'exprimer une opinion, à propos de quoi que ce soit ou de quiconque lié, même très indirectement, au Hamas peut vous valoir jusqu'à 14 ans de prison au Royaume-Uni.

La Grande-Bretagne a transposé en politique intérieure la logique obscène qu'Israël a utilisée pour détruire les hôpitaux de Gaza, assassiner ses médecins et tuer ses journalistes.

Elle a désormais étendu cette logique pervertie pour interdire le groupe d'action directe Palestine Action, en le plaçant sur la liste des organisations terroristes aux côtés d'Al-Qaïda, et menace toute personne en Grande-Bretagne qui exprime son soutien aux efforts de Palestine Action pour mettre fin au génocide d'Israël à Gaza de complicité avec le terrorisme [parallèlement, les capitales occidentales déroulent le tapis rouge aux égorgeurs du nouveau régime syrien, dirigé par le terroriste notoire qui dirigeait la branche de Daech en Syrie].

En bref, le gouvernement britannique et une BBC servile qui régurgite ses positions ont le sang d'Al-Sharif et des autres journalistes de Gaza directement sur les mains. Ils ont contribué à le tuer. Et, en rapportant son assassinat, ils s'assurent que d'autres journalistes de Gaza seront tués dans les jours, les semaines et les mois à venir.

Source originale:  Le blog de Jonathan Cook
Traduction et notes entre crochets:  Alain Marshal

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