Par Boaventura de Sousa Santos, le 23 août 2025
Censure comme autocensure empêchent de rapporter les informations.
Des informations qui, dans quelques années (voire quelques mois ou quelques jours), surprendront les éminents analystes politiques occidentaux, dont les commentaires dans les médias mainstream sont censés nous ouvrir les yeux (ou plutôt nous aveugler), ne les étonneront que parce que la censure et l'autocensure interdisent leur diffusion. Examinons quelques cas, sans ordre particulier.
1 - Zelensky est la marionnette des intérêts occidentaux et subira le sort réservé à ses semblables : soit il avalera la pilule, soit il connaîtra une mort mystérieuse. Dans le premier cas, il pourrait même être nommé commissaire européen (car l'Ukraine entrera dans l'Union après avoir été démembrée et neutralisée grâce à sa victoire sans équivoque contre les Russes). On lui confiera le portefeuille des Affaires étrangères, car après Kaja Kallas, n'importe quel figurant peut occuper ce poste.
2 - L'humiliation vécue par l'Union européenne lors de la réunion entre Donald Trump et certains dirigeants européens à la Maison Blanche, le 18 août, n'aurait guère pu être pire. On aurait dit une bande d'écoliers désobéissants à la table du maître. On a rarement vu autant de vassalité orchestrée. En règle générale, lors des réunions entre chefs d'État, tout le monde s'assoit à la même table et celui qui convoque la réunion prend place en bout de table. Le récent pacte de chantage entre les États-Unis et l'Union européenne est la dernière version du traité de Versailles de 1919. À l'époque, les vainqueurs étaient les Alliés européens et l'Allemagne, le grand perdant. Ce traité a été si humiliant pour l'Allemagne qu'il a alimenté la montée de l'extrême droite dans la République de Weimar et toute l'Europe, avec Mussolini. Le résultat, on le connaît : la montée de l'extrême droite et l'arrivée d'Hitler au pouvoir. António Costa, président du Conseil européen, n'a pas été invité aux pourparlers de Washington, car l'Union européenne a été rayée de la carte par les États-Unis. Et ceux qui étaient présents n'étaient rien d'autre que des fantômes.
3 - Trump est un homme d'affaires déguisé en politicien. Personne ne semble se rendre compte pour l'instant que les trois seuls hommes d'affaires qu'il respecte, c'est-à-dire avec lesquels il pourra faire des affaires à l'avenir, sont Vladimir Poutine, Xi Jinping et Narendra Modi.
4 - Le Brésil est la cible principale de Trump, qui prépare une opération de communication sans précédent pour empêcher la réélection du président Lula da Silva. Seuls la Chine, la Russie et le peuple brésilien peuvent éviter le pire. Espérons qu'ils le souhaitent, car ils en ont le pouvoir.
5 - La Russie et la Chine ont organisé des manoeuvres navales dans la mer du Japon la deuxième semaine d'août 2025. Ce qui était sans précédent, c'est que la Chine a envoyé ses porte-avions à l'est des Philippines pour la première fois de son histoire, un événement historique en soi. Seul le temps nous le dira s'il l'était.
6 - Deux versions d'une même histoire, qui ne date pas d'hier, ont refait la une des journaux en août de cette (mal)heureuse année 2025. Seule la première version a été largement rapportée :
Première version : Source : Balkan Insight
Slobodan Milošević n'a pas été innocenté. Si la Cour internationale de justice (CIJ) n'a pas trouvé de preuves le liant directement au génocide de la guerre de Bosnie, elle a toutefois jugé qu'il n'a pas empêché ce génocide ni traduit ses responsables en justice. Il a également été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité devant le Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie (TPIY), où il est mort avant la fin du procès.
Deuxième version : (sources russes, donc considérées peu fiables selon les médias occidentaux).
Les médias qui ont publié cette information sont censurés dans l'UE. Il est peu probable qu'elle soit publiée dans les médias qui nous désinforment :
"Dix ans se sont écoulés depuis la mort de Slobodan Milošević, alors président de la Serbie, dans les cachots d'un tribunal international, après avoir été condamné avant même d'être jugé par la presse occidentale. On l'a même comparé au génocidaire Adolf Hitler."Aujourd'hui, dans un silence assourdissant de la part de la même presse qui l'a condamné, la Cour pénale internationale de La Haye a reconnu à l'unanimité, mais trop tard, l'innocence de Milošević. Il est mort dans des circonstances restées secrètes pour éviter toute spéculation sur les causes de sa mort. Les médias conservateurs ont non seulement justifié les bombardements de l'OTAN en Serbie et au Kosovo, mais aussi les sanctions économiques contre le pays présidé par Milošević. Milošević a ainsi passé les cinq dernières années de sa vie en prison, attendant les conclusions des enquêtes du tribunal, qui n'ont eu lieu qu'aujourd'hui.
"La Cour internationale de La Haye a reconnu que Slobodan Milošević a non seulement défendu son pays, mais qu'il a également tenté en vain d'arrêter les crimes commis durant la guerre, alors que l'OTAN bombardait quotidiennement la région sous de faux prétextes. Comme si cet exemple flagrant de manipulation de l'information ne suffisait pas, comme en atteste le silence actuel des médias sur le verdict, force est de constater que Milošević est mort dans des circonstances douteuses.
"En résumé, selon le Tribunal de La Haye, Milošević n'a participé à aucune "campagne criminelle concertée" visant à "nettoyer ethniquement" la Bosnie des musulmans et des Croates. Tout ce qui a été rapporté à ce sujet était sans fondement, notamment parce que les juges ont conclu que "Slobodan Milošević a déclaré à l'époque que les membres d'autres nations et groupes ethniques doivent être protégés et que la discrimination à l'égard d'autres groupes ethniques ne sert pas l'intérêt national serbe".
"Milošević a en effet déclaré haut et fort que "les crimes commis par des groupes ethniques doivent être sévèrement condamnés". En réalité, le Tribunal de La Haye n'a pas vraiment tenté de faire connaître son rapport final de 2 590 pages. Les autorités du tribunal ont peut-être estimé que personne n'irait lire un rapport aussi imposant.
"Milošević a été retrouvé mort dans sa cellule, 72 heures après l'envoi par son avocat d'une lettre au ministère russe des Affaires étrangères dans laquelle il affirmait que Milošević avait été empoisonné de manière délibérée. Un rapport officiel du Tribunal de La Haye sur l'enquête relative à sa mort a confirmé qu'un médicament (la rifamycine) qui n'a jamais été prescrit par ses médecins a été trouvé dans son sang lors des analyses post-mortem.
"La rifamycine a neutralisé les effets d'un autre médicament prescrit à Milošević pour traiter son hypertension, accroissant ainsi le risque d'infarctus".
Ces faits montrent que, bien souvent, avant même qu'un jugement définitif ne soit rendu, quelqu'un peut être condamné à tort par la presse conservatrice. L'histoire regorge d'exemples de ce genre.
Dans le cas de Milošević, de fortes influences géopolitiques auraient pu préférer le voir mort avant la fin du procès qui l'a acquitté. Espérons qu'à un stade donné, certains médias rapporteront au moins une partie de ces informations.
Quand saurons-nous la vérité ? Quand l'identité de ceux qui ont ordonné l'assassinat de John F. Kennedy ou de Martin Luther King sera-t-elle divulguée ?
7 - La semaine du 18 août 2025, l'Union africaine a officiellement approuvé la modification de la carte de l'Afrique, qui, depuis le XVIè siècle, est représentée selon la projection de Mercator. Cette projection augmente artificiellement la taille de l'Europe et de l'Amérique du Nord, et réduit celle du continent africain à environ la moitié de sa taille réelle. Cette projection n'a jamais été neutre. Elle a influencé les représentations mentales du continent africain chez les enfants et les adultes, contribuant ainsi de manière significative à leur faible estime de soi en tant que natifs de ce continent dévalorisé. Elle sera remplacée par la projection Equal Earth (ou projection de Robinson), plus fidèle à la taille réelle des différents continents. Cette modification signifie que la représentation cartographique sera désormais officiellement perçue comme une dimension politique, tant au niveau national qu'international.
8 - Incroyable mais vrai, le nom de Donald Trump a été sérieusement envisagé pour le prix Nobel de la paix. Le président américain a même demandé aux dirigeants africains, qu'il a conviés à la Maison Blanche (construite par des Noirs), d'écrire au Comité Nobel pour exprimer leur soutien à sa candidature, en échange d'avantages tarifaires. La nouvelle de sa possible nomination a fait le tour du monde. On n'a toutefois pas entendu parler de la discrète décision du Comité Nobel de retirer Donald Trump de la liste des candidats.
9 - Les jeunes du monde entier adoptent de nouvelles formes de lutte, souvent inspirées de la culture qui leur est la plus proche, comme la culture pop ou les BD. L'Indonésie a récemment célébré ses quatre-vingts ans d'indépendance. À cette occasion, le drapeau rouge et blanc de l'Indonésie a été hissé dans les rues et sur les maisons à travers tout le pays. Selon le président, Prabowo Subianto, "le rouge symbolise le sang versé pour obtenir l'indépendance et le blanc, la pureté de nos âmes". Cette année, le drapeau indonésien a dû faire face à la concurrence du "Jolly Roger", le drapeau pirate de la saga japonaise "One Piece", un manga créé par Eiichiro Oda en 1997, le drapeau représentant un crâne coiffé d'un chapeau de paille. Pour les jeunes, le Jolly Roger symbolise la lutte contre la pauvreté, l'inflation et la corruption, et un moyen de rappeler que le président est le gendre du dictateur Suharto. Suharto est responsable du coup d'État contre le président Sukarno et du meurtre de plusieurs milliers de militants du Parti communiste. Sans oublier qu'il a ordonné, à la requête d'Henry Kissinger, l'invasion brutale du Timor oriental en 1975, au cours de laquelle quelque 200 000 Timorais ont trouvé la mort.
10 - On considère déjà le génocide à Gaza comme le grand crime qui déshonore l'humanité tout entière au XXIè siècle. Mais on sait peu de choses sur un autre crime de la même ampleur, commis avec la même arme de destruction (la famine), qui se déroule actuellement au Soudan. Les pays impliqués dans ce crime sont ceux que nous considérons comme les grands négociateurs de la paix en Palestine. Et il y a de l'or au Soudan, une ressource rare pour quiconque en possède en quantité.
11 - La différence entre guerre et génocide est rarement mentionnée. Dans la guerre d'Ukraine, le pourcentage d'enfants tués est de 0,3 %. À Gaza, il atteint 37,7 %.
12 - Le sionisme est né d'un projet de création d'un État ethno-juif, très contesté au sein même de la communauté juive. Depuis les années 1920, il est imprégné de la pensée fasciste qui se répandait alors en Europe. Il s'est ensuite allié à l'Afrique du Sud de l'apartheid et a apporté son soutien à des dictateurs d'Amérique latine. Il a même négocié la déportation de 60 000 Palestiniens vers le Paraguay. Aujourd'hui, il n'est plus un simple suiveur du mouvement d'extrême droite mondial. Il en est devenu l'un des leaders. Que s'est-il passé ?
13 - D'après la base de données de l'ONU sur la sécurité du personnel humanitaire sur le terrain, 383 personnes ont été tuées dans le monde en 2024, dont près de la moitié à Gaza. Il s'agit du chiffre le plus élevé jamais enregistré. António Guterres ne défend même pas son propre personnel. Ceux qui travaillent à l'ONU regrettent le dernier secrétaire général digne de ce nom, Kofi Annan. Il a eu le courage de s'opposer à la guerre en Irak. Les États-Unis ont réagi sans attendre. António Guterres est (sans même s'en rendre compte) l'idiot utile des États-Unis et d'Israël. Les funérailles de l'ONU sont programmées, comme lorsque l'Allemagne a quitté la Société des Nations en 1933.
14 - En juillet, le gouvernement américain a clairement fait savoir que les entreprises du secteur de l'intelligence artificielle (IA) qui souhaitent décrocher des contrats avec la Maison Blanche devront s'assurer que leurs technologies sont "objectives et exemptes de préjugés idéologiques dictés en haut lieu". Un décret du président Donald Trump destiné à "bannir l'IA woke du gouvernement fédéral" cite les initiatives en faveur de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI) comme exemple d'idéologie préjudiciable. La contradiction apparente entre l'exigence d'une IA impartiale et la manière dont les modèles d'IA doivent aborder la diversité, l'équité et l'inclusion (DEI) prouve que l'IA sans idéologie n'est qu'une utopie. Plusieurs études ont montré que la plupart des modèles linguistiques donnent des réponses de tendance conservatrice à des questions telles que la taxation des vols, la limitation des augmentations de loyer et la légalisation de l'avortement. Les chatbots chinois, comme DeepSeek ou Qwen, filtrent les informations relatives aux événements de la place Tiananmen, au statut politique de Taïwan ou à la persécution des Ouïghours, suivant ainsi la position officielle du gouvernement chinois. Les modèles d'IA ne sont ni politiquement neutres, ni exempts de préjugés. Mais beaucoup les considèrent comme tels.
15 - Ce qui est présenté comme une innovation n'est rien de plus qu'une répétition : pour la énième fois, une grande marque mondiale transforme un savoir ancestral en marchandise, exploitant les communautés porteuses de cette mémoire collective sans rien leur donner en retour. Cette fois, c'est la société allemande Adidas qui est accusée d'appropriation culturelle pour avoir lancé le modèle Oaxaca Slip-On, inspiré des sandales traditionnelles huarache, symbole de la culture indigène mexicaine, sans reconnaître ni rémunérer les artisans locaux. Cet épisode, qui a commencé comme un "épisode isolé" de plus, est rapidement devenu une affaire d'État : la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, est intervenue dans le débat et a déplacé la controverse du domaine du design à celui de la justice économique et du patrimoine culturel. Brandissant une photo des baskets, elle a accusé l'entreprise allemande d'appropriation culturelle et a déclaré que son gouvernement envisage déjà des mesures juridiques pour protéger la propriété intellectuelle collective des peuples autochtones.
16 - Les pays africains sont bien moins touchés par les catastrophes naturelles que le reste du monde. Cependant, ils en souffrent beaucoup plus. En 2016, par exemple, les pays africains n'ont été touchés que par 17 % des catastrophes naturelles - soit autant que les autres régions du monde - mais se classaient au troisième rang en termes de nombre de victimes (31,8 millions). Les pays asiatiques ont été les plus touchés (47 %). Bien que la mortalité due aux catastrophes ait diminué en Asie, elle a augmenté en Afrique. Dans le nord-est du Nigeria, 8,8 millions de personnes sont notamment menacées par la famine. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Parmi celles-ci figurent les facteurs socio-économiques et politiques, la dette extérieure dans un système international créé à leur détriment, le pillage des ressources naturelles et les guerres civiles qui en résultent. Le changement climatique, tel qu'il est envisagé lors de la prochaine COP à Belém (Brésil), est la dernière farce orchestrée par les pays riches pour appliquer la dernière version du malthusianisme : les pauvres sont responsables de leur pauvreté, et le châtiment consiste à être anéantis par les inondations et les sécheresses.
Il y a vingt-sept ans, le 20 août 1998, les États-Unis ont lancé une attaque de missiles de croisière contre l'usine pharmaceutique Al-Shifa, le plus grand fabricant de médicaments du Soudan. L'usine a été complètement détruite et douze personnes ont été tuées ou blessées. Les conséquences ont toutefois été bien plus graves. Al-Shifa était l'une des plus grandes entreprises pharmaceutiques du continent africain. Elle produisait la moitié des médicaments consommés par la population soudanaise et exportait des produits pharmaceutiques peu coûteux vers plusieurs pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Avec la destruction de l'usine, le Soudan a été confronté à une grave pénurie de médicaments, réduisant à néant toute tentative d'aide humanitaire. L'absence de soins médicaux et l'aggravation des épidémies ont causé la mort de dizaines de milliers de personnes. Le gouvernement américain a justifié cette attaque en affirmant que l'usine produisait des armes chimiques, une allégation rapidement réfutée. L'attaque a eu lieu au plus fort d'un scandale sexuel impliquant Bill Clinton et a servi de diversion. Qui s'en souvient ?
D'autres exemples pourraient aisément illustrer ce propos. Mais ces éléments témoignent déjà de la manière dont notre ignorance est fabriquée par le discours dominant en Occident.
Traduit par Spirit of Free Speech