M.A.
Modi, un pas vers la Chine
SHARMA AFP
Face aux droits de douanes américains et aux tensions avec les États-Unis, l'Inde et la Chine accélèrent leur rapprochement. Les deux pays membres des BRICS, qui se disputent environ 4 000 kilomètres de frontières le long de la chaîne de l'Himalaya depuis 62 ans, envisagent de reprendre leur commerce frontalier, cinq ans après son interruption en raison d'affrontements entre les deux armées. L'enjeu est double, économique, mais surtout géostratégique.
Le conflit frontalier sino-indien est un litige de longue date portant sur la souveraineté de plusieurs territoires le long de la frontière himalayenne entre les deux pays. Le différend a conduit à une guerre en 1962 et continue de provoquer des tensions récurrentes, avec des affrontements meurtriers en 2020 et 2022. Malgré des tentatives de négociation et des accords comme celui de 1996 sur les "mesures de confiance", le conflit a persisté. Les deux pays ont renforcé leur présence militaire dans la région, l'Inde ayant par exemple déployé 10 000 soldats supplémentaires à la frontière en mars 2024.
Washington pousse son allié dans les bras de la Chine
Le conflit a favorisé le rapprochement de l'Inde avec l'Occident, particulièrement Washington, qui voit New Delhi comme une alternative pour contrer l'influence chinoise dans la région Asie-Pacifique. En réponse à la montée en puissance de la Chine, aussi bien militairement qu'économiquement, l'Inde a accéléré ses partenariats avec des puissances comme les États-Unis, le Japon et l'Australie, en témoignent sa participation au Dialogue quadrilatéral pour la sécurité, sa coopération avec Tokyo en matière de surveillance maritime ainsi qu'avec des accords bilatéraux.
New Delhi a également pris des initiatives diplomatiques qui l'ont positionnée comme une alternative à la Chine et la Russie, voire comme le leader du "Sud Global" avec une vision différente de celle de Pékin.
Mais les deux États, membres fondateurs des BRICS, coalition constituée, du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud avant un élargissement en 2024 et qui se veut une alternative à un ordre mondial dominé par l'Occident, avaient annoncé un accord fin 2024 pour apaiser ces tensions frontalières. Les deux pays les plus peuplés de la planète ont annoncé avoir trouvé un accord concernant les patrouilles le long de ces frontières.
Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis a nettement accéléré ce rapprochement. Face au durcissement de la politique commerciale américaine, marqué par une hausse significative des droits de douane et des menaces directes adressées à New Delhi en raison de son approvisionnement en hydrocarbures russes, l'Inde a cherché à diversifier ses partenariats pour préserver ses intérêts économiques et stratégiques.
Une reprise du commerce et des visites diplomatiques
Des responsables des deux pays ont révélé que Pékin et New Delhi discutaient d'une reprise du commerce frontalier, interrompu il y a cinq ans, en raison des conflits. Il s'agit pour les deux puissances de compenser, autant que possible, une partie, aussi minime soit-elle, des pertes économiques susceptibles de découler de l'augmentation des droits de douane américains tout en réduisant leur dépendance à ces marchés. 15% des importations indiennes provenaient de Chine à la veille de 2020, et pour un montant de 80 milliards de dollars en 2019 au profit de Pékin.
Il est aussi question d'améliorer les conditions de vie des populations frontalières, selon le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qui se rend ce lundi dans la capitale indienne pour des pourparlers avec son homologue Subrahmanyam Jaishankar, qui a effectué une visite à Pékin en juillet.
"Depuis longtemps, la coopération commerciale frontalière entre la Chine et l'Inde joue un rôle important dans l'amélioration des conditions de vie des populations frontalières", a-t-il déclaré. Le ministre d'État aux Affaires étrangères à New Delhi, Kirti Vardhan Singh, avait annoncé la semaine passée que "l'Inde s'était engagée avec la partie chinoise à faciliter la reprise du commerce frontalier".
Une visite du Premier ministre indien Narendra Modi en Chine est aussi attendue fin août, selon la presse locale. Il s'agirait de sa première visite d'État depuis 2018. Pékin s'est déclaré d'ores et déjà "prêt à accueillir le Premier ministre Modi" lors du sommet annuel de l'Organisation internationale de coopération de Shanghai.