Medea Benjamin
AFP
Donald Trump est arrivé au pouvoir en promettant de mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures. Aujourd'hui, six mois plus tard, sa rencontre cruciale avec Vladimir Poutine en Alaska pourrait avoir mis les États-Unis et la Russie sur une nouvelle voie vers la paix. Mais si cette initiative échoue, cela pourrait déclencher une escalade encore plus dangereuse, les faucons du Congrès poussant déjà pour l'octroi de 54,6 milliards de dollars supplémentaires en armes à l'Ukraine.
À l'issue de la réunion, Poutine a correctement résumé ce moment historique : « Les relations bilatérales ont traversé une période très difficile et, soyons francs, elles ont atteint leur point le plus bas depuis la guerre froide. Je pense que cela ne profite ni à nos pays ni au monde dans son ensemble. Tôt ou tard, nous devrons remédier à cette situation pour passer de la confrontation au dialogue. »
Trump a déclaré qu'il allait donner suite en s'entretenant avec les dirigeants de l'OTAN et Zelensky, comme si les États-Unis n'étaient qu'un simple spectateur innocent essayant d'aider. Mais en Ukraine, comme en Palestine, Washington joue le rôle de « médiateur » tout en fournissant des armes, des renseignements et une couverture politique à l'un des camps. À Gaza, cela a permis un génocide. En Ukraine, cela pourrait conduire à une guerre nucléaire.
Malgré les protestations de Zelensky et des dirigeants européens, Trump a eu raison de rencontrer Poutine, non pas parce qu'ils sont amis, mais parce que les États-Unis et la Russie sont ennemis, et parce que la guerre qu'ils mènent jusqu'au dernier Ukrainien est le front d'un conflit mondial entre les États-Unis, la Russie et la Chine.
Dans notre livre, War In Ukraine: Making Sense of a Senseless Conflict, que nous avons mis à jour et révisé pour couvrir trois années de guerre en Ukraine, nous avons détaillé le rôle des États-Unis dans l'expansion de l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie, leur soutien au renversement violent du gouvernement élu de l'Ukraine en 2014, leur sabotage de l'accord de Minsk II et leur rejet d'un accord de paix entre la Russie et l'Ukraine après seulement deux mois de guerre en 2022.
Nous doutons que Donald Trump comprenne pleinement cette histoire. Ses déclarations simplistes qui accusent tour à tour la Russie et l'Ukraine, mais jamais les États-Unis, sont-elles simplement un discours de façade destinée à l'opinion publique US, ou croit-il vraiment que les mains de l'Amérique sont propres ?
Lors de leur première rencontre en Arabie saoudite le 18 février, les négociateurs étasuniens et russes ont convenu d'un plan en trois étapes : premièrement, rétablir les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Russie ; deuxièmement, négocier la paix en Ukraine ; et enfin, travailler à résoudre la rupture plus large et sous-jacente des relations entre les États-Unis et la Russie. La décision de Trump et Poutine de se rencontrer maintenant était une reconnaissance du fait qu'ils doivent s'attaquer à la fracture plus profonde avant de pouvoir parvenir à une paix stable et durable en Ukraine.
Les enjeux sont importants. La Russie mène une guerre d'usure, se concentrant sur la destruction des forces et des équipements militaires ukrainiens plutôt que sur une avancée rapide et la conquête de territoires supplémentaires. Elle n'a toujours pas occupé toute la province de Donetsk, qui a déclaré unilatéralement son indépendance de l'Ukraine en mai 2014 et que la Russie a officiellement annexée avant son invasion en février 2022.
L'échec des négociations de paix pourrait conduire à un plan de guerre russe plus agressif visant à conquérir des territoires beaucoup plus rapidement. Les forces ukrainiennes sont dispersées sur une grande partie de la ligne de front de plus de 1100 km, avec parfois seulement 100 soldats pour défendre plusieurs kilomètres. Une offensive russe majeure pourrait entraîner l'effondrement de l'armée ukrainienne ou la chute du gouvernement Zelensky.
Comment les États-Unis et leurs alliés occidentaux réagiraient-ils à de tels changements majeurs dans le paysage stratégique ? Les alliés européens de Zelensky tiennent un discours ferme, mais ont toujours refusé d'envoyer leurs propres troupes en Ukraine, à l'exception d'un petit nombre de forces spéciales et de mercenaires.
Poutine s'est adressé aux Européens dans son discours après le sommet :
Nous espérons que Kiev et les capitales européennes percevront [les négociations] de manière constructive et qu'elles ne mettront pas des bâtons dans les roues, qu'elles ne tenteront pas d'utiliser des accords secrets pour mener des provocations visant à torpiller les progrès naissants.
Pendant ce temps, davantage de soldats US et de l'OTAN combattent depuis la relative sécurité du quartier général conjoint Ukraine-OTAN situé au sein de la base militaire US de Wiesbaden, en Allemagne. Ils y travaillent avec les forces ukrainiennes pour planifier des opérations, coordonner les renseignements et cibler des frappes de missiles et de drones. Si la guerre s'intensifie davantage, Wiesbaden pourrait devenir la cible de frappes de missiles russes, tout comme les missiles de l'OTAN visent déjà des bases en Russie. Comment les États-Unis et l'Allemagne réagiraient-ils à des frappes de missiles russes sur Wiesbaden ?
La politique officielle des États-Unis et de l'OTAN a toujours été de maintenir l'Ukraine en état de guerre jusqu'à ce qu'elle soit en position de force pour négocier avec la Russie, comme l'a écrit Joe Biden dans le New York Times en juin 2022. Mais chaque fois que les États-Unis et l'OTAN prolongent ou intensifient la guerre, ils affaiblissent l'Ukraine au lieu de la renforcer. L'accord de neutralité que les États-Unis et le Royaume-Uni ont rejeté en avril 2022 prévoyait le retrait de la Russie de tous les territoires qu'elle venait d'occuper. Mais cela n'était pas suffisant pour Boris Johnson et Joe Biden, qui ont préféré miser sur une longue guerre en vue d'affaiblir la Russie.
Les chefs militaires de l'OTAN ont estimé que la contre-offensive ukrainienne à l'automne 2022 avait permis d'atteindre la position de force qu'ils recherchaient, et le général Milley a pris le risque de déclarer publiquement que l'Ukraine devait « saisir l'occasion » pour négocier. Mais Biden et Zelensky ont rejeté son conseil, et l'offensive ratée de l'Ukraine en 2023 a gâché l'occasion qu'ils n'avaient pas su saisir. Aucune propagande trompeuse ne peut cacher la réalité : depuis lors, la situation n'a cessé de se détériorer, et 69 % des Ukrainiens souhaitent désormais une paix négociée, avant que leur position ne se détériore encore davantage.
Trump s'est donc rendu en Alaska avec un faible atout, mais celui-ci s'affaiblira encore si la guerre se poursuit. Les politiciens européens qui exhortent Zelensky à s'accrocher à ses exigences maximalistes veulent paraître fermes aux yeux de leur propre population, mais les clés d'une paix stable et durable restent la neutralité de l'Ukraine, l'autodétermination des peuples de toutes les régions du pays et un véritable processus de paix qui mette enfin un terme à la zombification de la guerre froide.
Le monde entier a célébré la fin de la guerre froide en 1991, mais les peuples du monde attendent toujours les dividendes de la paix promis depuis longtemps, que nous a volés une génération de dirigeants corrompus et bellicistes.
Au fur et à mesure que les négociations progressent, les responsables US doivent être honnêtes quant au rôle des États-Unis dans le déclenchement de cette crise. Ils doivent montrer qu'ils sont prêts à écouter les préoccupations de la Russie, à les prendre au sérieux et à négocier de bonne foi afin de parvenir à un accord stable et durable qui apporte la paix et la sécurité à toutes les parties impliquées dans la guerre en Ukraine et dans la guerre froide plus large dont elle fait partie.