Orestis NIKIFOROU
Le 5 juillet 2015, le peuple grec rejeta massivement l'austérité par référendum. Cette décision, vite trahie par le gouvernement Tsipras, trouva un large écho international. Ce texte revient sur les espoirs populaires, les alternatives écartées, la solidarité mondiale, et l'impact de cette trahison sur la gauche européenne. Il souligne aussi que ce NON demeure un repère pour les combats à venir, à condition qu'ils soient préparés, ancrés dans les luttes sociales, et portés par une volonté d'aller jusqu'au bout.
Parallèle avec le NON français de 2005
La décision du peuple grec de rejeter par référendum, le 5 juillet 2015, l'accord proposé par les institutions européennes a marqué un tournant historique. Avec 61,3 % de « NON », il ne s'agissait pas d'un simple cri de détresse, mais d'un acte conscient de souveraineté populaire, dans la continuité de cinq années de luttes sociales contre l'austérité.
Cette prise de position n'était pas sans rappeler le référendum français de 2005, où le peuple avait également rejeté par une majorité nette (54,7 %) le Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Comme en France, le résultat fut ensuite contourné : en 2007, via le traité de Lisbonne voté par le Parlement, les élites politiques bafouèrent la volonté populaire, en affichant un mépris cinglant pour la démocratie.
De même, quelques jours après le référendum grec, le gouvernement Tsipras signa un troisième mémorandum d'austérité, trahissant l'expression populaire et remettant le pays sur les rails de l'asservissement économique.
Le mouvement international de solidarité
Le courage du peuple grec éveilla une vague de solidarité inédite dans le monde entier. Nadia Valavani note : « Le NON grec a inspiré une large mobilisation, des manifestants à Madrid jusqu'aux citoyens européens devant les parlements. »
Fait remarquable, la presse internationale afflua pour couvrir les événements, y compris des équipes de télévision venues de Corée du Sud.
Aux États-Unis, le candidat maire de Jackson (Mississippi), Chokwe Antar Lumumba, déclara lors d'un meeting : « Je ne trahirai jamais mon programme comme Tsipras l'a trahi. »
Pourtant, malgré cet élan mondial, la direction du SYRIZA interdit ou neutralisa activement les mobilisations de soutien, tant en Grèce qu'à l'étranger, notamment via les sections SYRIZA à l'international ou des partis de la Gauche européenne, comme Die Linke.
L'impact désastreux de la trahison sur les mouvements de gauche en Europe
La capitulation de la direction du SYRIZA a eu un effet destructeur sur les espoirs populaires en Europe. Loin d'être contrainte, cette reddition fut, selon Nadia Valavani, « le produit d'un choix politique conscient, celui d'abandonner le mandat de rupture au nom de la 'realpolitik' ».
Jean-Luc Mélenchon, dirigeant du mouvement La France Insoumise, qualifia Tsipras de politicien minable, soulignant avec amertume que le chef grec s'était transformé, en quelques jours, d'espoir de tout un peuple en symbole de duplicité.
Des alternatives et propositions : l'aile gauche de SYRIZA et Yanis Varoufakis
Contrairement à ce que prétendait la direction du gouvernement, il existait des plans alternatifs. L'aile gauche du SYRIZA (Plateforme de Gauche) proposait une sortie ordonnée de la zone euro et la nationalisation des banques. En parallèle, Yanis Varoufakis, alors ministre des Finances, avait élaboré un plan pour mettre en place un système de paiements parallèle. Il explique dans son livre Adults in the Room :
« La BCE avait transformé ses menaces en strangulation. Nous devions montrer que nous ne mourrions pas dans le silence. »
Dimitris Stratoulis, dans son ouvrage Huit mois qui ont secoué la Grèce, affirme que « le plan B était prêt, il aurait pu être appliqué dès le lendemain ».
Et pourtant, c'est précisément cette voie qu'a rejetée Tsipras, entraînant la résignation et la dispersion d'un large mouvement populaire.
Le NON appelle de nouveau
Dix ans plus tard, le NON grec n'est pas un souvenir douloureux : il demeure un appel vibrant à l'insoumission. Mais la leçon est claire : un référendum ne suffit pas. Sans préparation, sans structure et sans volonté d'aller jusqu'au bout, il peut être confisqué en quelques jours.
Un prochain NON, pour être victorieux, devra s'appuyer sur :
une préparation ouverte à l'affrontement avec l'ordre capitaliste,
une organisation enracinée dans les mouvements sociaux, dirigée par une équipe inspirée, déterminée et incorruptible,
un programme de transition vers le socialisme, clairement conçu, énoncé et appliqué.
et surtout, sur une vaste mobilisation populaire, sur des luttes dures, quotidiennes, intransigeantes, bien avant et après l'accession au gouvernement des forces qui se réclament pour la rupture avec l'ordre capitaliste.
Bibliographie
1. Stratoulis, Dimitris. Huit mois qui ont ébranlé la Grèce. Athènes : Éditions 2020, 2015.
2. Valavani, Nadia. La Grèce après 2015 : Mémorandums, crise et politique. Athènes : Éditions Livanis, 2016.
3. Varoufakis, Yanis. Adultes dans la salle : L'histoire secrète de l'establishment européen. Paris : Les Liens qui Libèrent, 2017.
4. Varoufakis, Yanis. Adults in the Room : My Battle with Europe's Deep Establishment. London : The Bodley Head, 2017.
5. Archives nationales françaises. Référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen.
Voir également : Le Monde diplomatique, mai-juin 2005.
6. Mélenchon, Jean-Luc. Déclarations publiques sur Alexis Tsipras, juillet 2015.
Retranscrites dans : Le Journal du Dimanche et France Inter, été 2015.