03/07/2025 2 articles mondialisation.ca  12min #283036

 L'Iran suspend officiellement toute coopération avec l'Aiea

Espionnage de l'Iran. Le Mi6 a infiltré l'Aiea

Par  Kit Klarenberg

Un agent notoire du MI6 britannique a infiltré l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour le compte de Londres, selon des documents divulgués examinés par The Grayzone. L'agent, Nicholas Langman, est un vétéran du renseignement qui revendique le mérite d'avoir aidé à organiser la guerre économique de l'Occident contre l'Iran.

L'identité de Langman avait déjà fait surface dans des récits journalistiques concernant son rôle dans le détournement des accusations selon lesquelles les renseignements britanniques auraient joué un rôle dans la mort de la princesse Diana. Il a ensuite été accusé par les autorités grecques d'avoir supervisé l'enlèvement et la torture de migrants pakistanais à Athènes.

Pour ces deux cas, les autorités britanniques avaient émis des ordonnances de censure interdisant à la presse de publier son nom. Mais les médias grecs, qui n'étaient pas soumis à une telle obligation,  ont confirmé que Langman était l'un des actifs du MI6 exfiltrés de l'ambassade britannique à Athènes.

The Grayzone a découvert le curriculum vitae du britannique dans un ensemble de documents divulgués détaillant les  activités de Torchlight, une  branche des services de renseignement britanniques. La biographie de l'officier du MI6 révèle qu'il "a dirigé de grandes équipes inter-institutions pour identifier et vaincre la propagation de la technologie des armes nucléaires, chimiques et biologiques, y compris par des moyens techniques innovants et des sanctions."

En particulier, l'agent du MI6 dit qu'il a fourni "un soutien à [l'AIEA] et à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques [OIAC] à travers des partenariats internationaux de haut niveau."

Le CV de Langman lui attribue un rôle majeur dans l'organisation du régime de sanctions contre l'Iran en "établissant des relations hautement efficaces et mutuellement favorables au sein du gouvernement et avec de hauts collègues américains, européens, du Moyen et de l'Extrême-Orient pour la stratégie" entre 2010 et 2012. Il se vante dans sa biographie que cette réalisation "a permis [le] succès diplomatique majeur de [l'] accord sur le nucléaire iranien et les sanctions."

L'influence que Langman prétend avoir exercée sur l'AIEA ajoute du poids aux allégations iraniennes selon lesquelles l'organisme international de réglementation nucléaire serait de connivence avec l'Occident et Israël pour saper sa souveraineté. Le gouvernement iranien a allégué que l'AIEA avait fourni les identités de ses meilleurs scientifiques nucléaires aux services de renseignement israéliens, permettant leurs assassinats, et avait fourni des renseignements essentiels aux États-Unis et à Israël sur les installations nucléaires qu'ils avaient bombardées lors de leur assaut militaire en juin dernier.

Le 12 juin, sous la direction de son Secrétaire général, Rafael Grossi, l'AIEA a publié un rapport clairement politisé  recyclant des allégations passées douteuses pour accuser l'Iran de violer le Traité de non-prolifération. Trois jours plus tard, Israël attaquait le pays, assassinant neuf scientifiques nucléaires ainsi que de nombreux hauts responsables militaires et des centaines de civils.

L'ancien vice-président iranien pour les Affaires stratégiques, Javad Zarif, a depuis demandé le limogeage de Grossi de l'AIEA,  l'accusant d'avoir "encouragé le massacre d'innocents dans le pays." Ce 28 juin, le gouvernement iranien a rompu ses liens avec l'AIEA, refusant d'autoriser ses inspecteurs à entrer dans le pays.

Alors que les responsables iraniens n'avaient peut-être aucune idée de l'implication d'un personnage obscur comme Langman dans les affaires de l'AIEA, Téhéran ne serait probablement pas surpris que l'agence soi-disant multilatérale ait été compromise par une agence de renseignement occidentale.

Le nom de Langman placé sous l'ordre officiel de la censure britannique

En 2016, Langman a été nommé Compagnon de l'Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, le même titre décerné à l'espion britannique fictif James Bond. À ce moment-là, le supposé agent secret avait la distinction douteuse d'avoir été publiquement « grillé » en tant qu'agent du MI6 à deux reprises.

Tout d'abord, en 2001,  le journaliste Stephen Dorril avait révélé que Langman était arrivé à Paris des semaines avant l'accident de voiture mortel de la princesse Diana dans la ville, le 31 août 1997, et qu'il avait ensuite été accusé d'avoir mené des "opérations d'information" pour décrédibiliser les spéculations publiques prétendant que les renseignements britanniques étaient responsables de sa mort.

Puis, en 2005,  il a été formellement accusé par les autorités grecques de complicité dans l'enlèvement et la torture de 28 Pakistanais à Athènes. Les Pakistanais, tous des travailleurs migrants, étaient soupçonnés d'avoir eu des contacts avec des individus accusés d'avoir perpétré les attentats du 7/7 à Londres, en juillet 2005.

 Brutalement battues et menacées avec des armes à feu dans la bouche, les victimes "étaient convaincues que leurs interrogateurs étaient britanniques. » Lorsque les médias grecs  ont désigné Langman comme étant l'agent du MI6 qui supervisait la torture des migrants, les organes de presse britanniques se sont universellement conformés à  une notice D du gouvernement – un ordre de censure officiel – et ont gardé son identité secrète lorsqu'ils ont rendu compte du scandale.

Londres  a nié avec véhémence toute implication britannique dans la torture des migrants, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Jack Straw, rejetant l'accusation comme "totalement absurde. » En janvier 2006 cependant, Londres  admettait que des officiers du MI6 étaient effectivement présents pendant la torture des Pakistanais, bien que les responsables aient insisté sur le fait que les agents n'avaient joué aucun rôle actif dans leurs arrestations, interrogatoires ou abus.

Après son retrait d'Athènes, Langman  est retourné à Londres pour diriger le département iranien du Ministère britannique des Affaires étrangères, un changement qui met en évidence son importance pour le MI6 et suggère que le gouvernement britannique n'avait aucun scrupule à propos de ses méthodes brutales de collecte de preuves.

Le Ministère britannique des Affaires étrangères collabore étroitement avec le MI6, dont les agents l'utilisent comme couverture, tout comme la CIA le fait avec les affectations diplomatiques du Département d'État.

L'homme du MI6 pour l'Iran s'attribue le mérite d'une stratégie de « pression maximale"

Alors qu'il dirigeait le département iranien du Foreign Office de 2006 à 2008, Langman a supervisé une équipe cherchant à "développer la compréhension" du "programme nucléaire » du gouvernement iranien.

On ne sait pas exactement ce que cette "compréhension" impliquait. Mais le document indique clairement que Langman a ensuite « suscité la confiance » en cette évaluation parmi "les agences européennes, américaines et du Moyen-Orient » afin de « retarder le programme et de faire pression sur l'Iran pour qu'il négocie. » La référence aux « agences du Moyen-Orient » implique fortement la coopération du MI6 avec les services de renseignement israéliens du Mossad.

En avril 2006,  Téhéran annonçait qu'il avait réussi à enrichir de l'uranium pour la première fois, bien que les responsables aient nié toute intention de le faire à des fins militaires. Ce développement a peut-être déclenché l'intervention de Langman.

La République islamique  avait rejeté toute suggestion selon laquelle elle nourrit l'ambition de posséder des armes nucléaires. Ses démentis ont été corroborés par une estimation du Renseignement national américain de novembre 2007 exprimant "une grande confiance qu'à l'automne 2003, Téhéran a interrompu » toute recherche sur les armes nucléaires. Cette évaluation est restée inchangée pendant plusieurs années et aurait été  partagée avec le Mossad, malgré les  déclarations constantes de Benjamin Netanyahouselon lesquelles l'Iran était sur le point de développer une arme nucléaire.

Le travail de soutien de Langman à l'AIEA correspond à la campagne de sanctions contre l'Iran

Les attitudes gouvernementales internationales à l'égard de l'Iran  ont changé brusquement entre 2010 et 2012. Au cours de cette période, les États occidentaux et les institutions intergouvernementales ont lancé une série de mesures sévèrement punitives contre le pays, tandis qu'Israël intensifiait ses opérations secrètes meurtrières contre les scientifiques nucléaires iraniens.

Cette période correspond précisément au mandat de Langman au  Centre de lutte contre la prolifération du Ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Sa biographie implique qu'il a utilisé ce poste pour influencer l'AIEA et d'autres organisations affiliées à l'ONU afin de fomenter une campagne d'hostilité mondiale envers l'Iran.

En juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations Unies  adoptait la Résolution 1929, qui gelait les avoirs du Corps des Gardiens de la Révolution iranienne et interdisait aux institutions financières étrangères d'ouvrir des bureaux à Téhéran. Un mois plus tard, l'administration Obama adoptait la Loi globale sur les sanctions, la responsabilité et le désinvestissement contre l'Iran. Cela a déclenché  une série de sanctions de la part des vassaux de Washington, qui ont souvent imposé des mesures encore plus strictes que celles imposées par l'ONU et les États-Unis.

En mars 2012,  l'UE votait à l'unanimité pour exclure les banques iraniennes du réseau bancaire international SWIFT. En octobre 2012, le bloc a imposé les sanctions les plus sévères à ce jour, limitant le commerce, les services financiers, l'énergie et la technologie, ainsi que l'interdiction de fournir des assurances aux entreprises iraniennes par les entreprises européennes.

 Les reportages de la BBC sur les sanctions ont reconnu que les responsables européens soupçonnaient simplement Téhéran de chercher à développer des armes nucléaires, mais manquaient de preuves concrètes. Et dans les coulisses, l'agent du MI6 Langman revendiquait le mérite d'avoir aidé à légitimer les allégations contre l'Iran.

L'accord sur le nucléaire jette les bases de la guerre

À la suite de la campagne d'isolement de l'Iran menée par l'Occident entre 2010 et 2012, sur son prétendu programme d'armes nucléaires, l'administration Obama  a pu négocier un accord, en juillet 2015, connu sous le nom de Plan d'action global commun (JCPOA). Aux termes de ce JCPOA, la République islamique acceptait de limiter ses activités de recherche nucléaire en échange d'un allégement des sanctions. Dans les années qui ont suivi,  l'AIEA a obtenu un accès pratiquement illimité aux complexes nucléaires de Téhéran, apparemment pour s'assurer que les installations n'étaient pas utilisées pour développer des armes nucléaires.

En cours de route, les inspecteurs de l'AIEA ont collecté de vastes quantités d'informations sur les sites, notamment des photos de caméras de surveillance, des données de mesure et des documents.  Le gouvernement iranien a depuis accusé l'Agence d'avoir fourni les profils top secrets de ses scientifiques nucléaires à Israël. Il s'agit notamment du parrain du programme nucléaire iranien, Mohsen Fakrizadeh, qui avait été nommé pour la première fois publiquement dans une présentation powerpoint menaçante par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, en 2019. L'année suivante, le Mossad assassinait Fakrizadeh en plein jour avec une mitrailleuse télécommandée.

 Des documents internes de l'AIEA divulgués en juin indiquent que le Secrétaire général de l'AIEA, Rafael Grossi, entretenait des relations  beaucoup plus étroites avec les responsables israéliens qu'on ne le savait auparavant, et suggéraient qu'il avait tiré parti de ses liens étroits avec Tel Aviv pour obtenir son poste actuel.

 Lors d'une interview, le 24 juin, avec Martha MacCallum, une présentatrice va-t-en-guerre de Fox News, Grossi n'a pas nié avoir fait l'affirmation incendiaire que "900 livres d'uranium potentiellement enrichi ont été transportées sur un ancien site près d'Ispahan. » Par contre, le directeur de l'AIEA avait aussi affirmé : "Nous n'avons aucune information sur l'endroit où se trouvent ces matières."

Bien avant que Grossi n'accède au sommet de l'AIEA avec le soutien occidental et israélien, l'agence semble avoir été pénétrée par un agent de renseignement britannique qui a pris la responsabilité dans sa biographie de l'ingénierie de l'attaque économique de l'Occident contre l'Iran.

L'AIEA n'a pas répondu à un courriel de Grayzone demandant des éclaircissements sur ses relations avec Langman et le MI6.

Kit Klarenberg

Article original en anglais :  Spying on Iran: How MI6 infiltrated the IAEA, The Grayzone, le 1er juillet 2025.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour  le Saker Francophone.

La source originale de cet article est  The Grayzone

Copyright ©  Kit Klarenberg,  The Grayzone, 2025

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