01/05/2025 francesoir.fr  11min #276561

Doge : vers un État de surveillance totalitaire selon une tribune du New York Times. Analyses et perspectives européennes

Xavier Azalbert, France-Soir

DOGE : vers un État de surveillance totalitaire selon une tribune du New York Times. Dissection et analyse critique et perspectives européennes

Le New York Times, biais editorial fer de lance anti-Trump ?

Le New York Times, bastion du journalisme progressiste, s'est souvent distingué par son opposition farouche aux républicains, avec un zèle particulier contre Donald Trump. Ses pages, où s'expriment des plumes critiques, peuvent refléter un biais anti-conservateur, surtout lorsqu'il s'agit de décrypter des initiatives comme le Département de l'Efficacité Gouvernementale (DOGE). Dans ce contexte, la tribune de Julia Angwin, publiée le 30 avril 2025 sous le titre « C'est ce dont nous avons toujours eu peur : DOGE construit un État de surveillance », sonne l'alarme sur une menace autoritaire.

Cet article décortique les accusations d'Angwin, scrute ses biais, explore les racines de la société de surveillance sous les précédents présidents et la perte de la liberté d'expression sous Biden, analyse la réplique cinglante de Matt Taibbi, et dresse un parallèle avec les dynamiques de surveillance et de contrôle en Europe.

Angwin sonne l'alarme : DOGE, architecte d'une dystopie ?

DOGE, une machine à espionner les citoyens pour Julian Angwin : journaliste d'investigation et contributrice au New York Times, elle alerte sur la création par DOGE, sous la direction d'Elon Musk, d'une base de données centralisée regroupant des informations sensibles provenant d'agences fédérales comme l'Internal Revenue Service (IRS), l'Administration de la Sécurité Sociale et le Département de la Santé et des Services sociaux. Cette « base de données de la ruine », terme inspiré du professeur Ohm, inclurait des données sur les revenus, les comptes bancaires, les dossiers médicaux et les historiques professionnels des américains. Selon Angwin, DOGE utilise l'intelligence artificielle pour analyser les communications des fonctionnaires fédéraux, dans le but de sanctionner les dissidents. Ces pratiques, qui pourraient violer le Privacy Act de 1974, représentent une rupture avec le cloisonnement traditionnel des données aux États-Unis, conçu pour prévenir les abus.

Angwin souligne le vide réglementaire américain. Contrairement à l'UE, les États-Unis manquent d'une agence fédérale dédiée à la protection des données, ce qui limiterait, d'après elle, les recours contre les abus de DOGE. Elle appelle à une réforme bipartisane, soutenant des propositions des sénateurs Markey et Wyden pour renforcer les sanctions contre les violations de la vie privée, et avertit que cette base de données pourrait servir à cibler des opposants politiques, menaçant les libertés fondamentales.

Angwin y voit un outil pour Trump afin de régler ses comptes politiques, un pas vers un « totalitarisme clé en main ».

Julia Angwin : sentinelle de la vie privée ou voix progressiste ? Ex-du Wall Street Journal et fondatrice de The Markup, Julia Angwin est lauréate du Pulitzer en 2003 pour ses enquêtes sur la corruption. Ses travaux, centrés sur les abus des géants technologiques et la surveillance, établissent sa méfiance envers les concentrations de pouvoirs, publics comme privés. Cependant, son focus sur les dérives autoritaires sous Trump et Musk est interprétable comme aligné sur une perspective progressiste, souvent critique des républicains. De plus, ses articles mettent fréquemment en lumière les impacts négatifs des politiques conservatrices sur la vie privée, bien qu'elle ait également critiqué des pratiques sous des administrations démocrates, comme la surveillance de la NSA sous Obama. Toutefois, dans cette tribune, l'accent exclusif sur DOGE et l'absence de contextualisation historique suggèrent un biais implicite, amplifié par le cadre éditorial du New York Times.

Cela ne discrédite pas ses arguments, mais invite à les lire avec un regard critique sur leur portée.

Les antécédents sous le gouvernement Biden

Pour évaluer les accusations d'Angwin, il est pertinent de se demander si les pratiques attribuées à DOGE sont véritablement inédites ou si elles s'inscrivent dans une continuité. Sous le gouvernement Biden (2021-2025), plusieurs initiatives ont renforcé la collecte et l'utilisation des données gouvernementales, souvent sous le prétexte de la sécurité nationale, de l'efficacité administrative ou même du contrôle du narratif officiel tel que l'on a pu l'observer avec la covid.

Tout d'abord, le gouvernement Biden a poursuivi et élargi les programmes de surveillance hérités de l'ère post-11 septembre, notamment via la NSA et le FBI. Le programme PRISM, révélé par Edward Snowden, est resté opérationnel, collectant des données sur les communications numériques, y compris celles de citoyens américains.

Ensuite, Biden a encouragé des collaborations entre le gouvernement et les entreprises technologiques pour lutter contre la désinformation en ligne, ce qui a parfois impliqué le partage de données sur les utilisateurs. Par exemple, des rapports ont montré que le FBI demandait aux plateformes comme Meta et X de signaler des contenus jugés problématiques, soulevant des questions sur la vie privée. Zuckerberg, patron de Meta a même fait une volte face en annonçant se passer des fact checkers :  de la censure à l'aveu de l'échec !

Enfin, le gouvernement Biden a investi dans la numérisation des systèmes fédéraux, centralisant certaines données pour améliorer les services publics, comme les dossiers médicaux des vétérans ou les déclarations fiscales via l'IRS. Bien que ces efforts visaient l'efficacité, ils ont créé des infrastructures potentiellement exploitables pour une surveillance accrue.

Cependant, contrairement à DOGE, ces initiatives sous Biden n'ont pas été accusées de collecter systématiquement des données dans le but explicite de cibler des opposants politiques, par contre les administrations ont bien donné des instructions aux réseaux sociaux pour contrôler le narratif et ainsi porter atteinte à la liberté d'expression dont Trump et Musk sont devenus les farouches défenseurs. Si les mesures sous Biden n'avaient pas l'objectif explicite de cibler des opposants, contrairement aux pratiques que Angwin prête à DOGE, elles ont posé les jalons d'un État intrusif.

L'omission de ce contexte par Angwin renforce l'impression d'un narratif anti-Trump sélectif.

Taibbi dégaine, le Times dans le viseur

Dans une analyse publiée sur Racket News « New York Times : Trump a inventé la stratégie autoritaire », Matt Taibbi, franc-tireur du journalisme, démonte la couverture du Times, y compris la tribune d'Angwin, pour son hypocrisie et son amnésie historique. Journaliste connu pour son scepticisme envers les récits médiatiques dominants, Taibbi argue que la surveillance de masse n'est pas une invention de Trump ou de Musk, mais une pratique enracinée dans des décennies de politiques bipartisanes.

Le mythe d'un Trump pionnier de l'autoritarisme : Taibbi rejette l'idée que Trump et Musk auraient inventé la surveillance de masse. Il pointe le Patriot Act, PRISM, et les collaborations public-privé sous Biden comme preuves d'une longue érosion bipartisan des libertés. Pour lui, l'indignation du Times est opportuniste, dictée par une hostilité à Trump plutôt qu'une opposition principle à la surveillance.

Musk, bouc émissaire médiatique : Taibbi admet que Musk, par sa stature, attire les projecteurs sur DOGE. Mais il fustige le Times pour avoir exagéré son rôle, transformant une continuité systémique en complot trumpiste. Les médias progressistes, argue-t-il, ont fermé les yeux sur des abus similaires sous Obama ou Biden, sapant leur crédibilité lorsqu'ils critiquent des initiatives républicaines.

Plaidoyer pour une révolte bipartisane : tout en partageant les inquiétudes d'Angwin sur les risques d'abus de pouvoir par DOGE, Taibbi déplore le ton partisan du Times, qui aliène ceux qui pourraient soutenir une réforme des lois sur la vie privée. Il appelle à une critique non partisane, qui reconnaisse les responsabilités des gouvernements successifs et mobilise un consensus bipartisan pour réformer les lois sur la vie privée.

Pour Taibbi, la focalisation sur Trump et Musk risque d'aliéner ceux qui pourraient soutenir des protections renforcées contre la surveillance.

L'Europe, miroir d'une société sous contrôle

Les préoccupations soulevées par Angwin et Taibbi résonnent avec les dynamiques de surveillance en Europe, où l'Union européenne (UE) a mis en place des mécanismes de contrôle numérique et physique qui, bien qu'encadrés, soulèvent des questions similaires sur les libertés individuelles. En France, cette dérive s'accompagne d'une défiance massive, illustrée par un sondage relayé par le sénateur Alain Houpert :  83 % des Français estiment ne pas être écoutés par le président et le gouvernement, un symptôme d'un divorce entre citoyens et élites, aggravé par des mesures intrusives. La réflexion d'Alain Houpert,

« d'une réglementation qui devrait fixer les interdits, nous sommes passés à une réglementation qui définit ce qui est autorisé, si bien que plus personne, aujourd'hui, n'est certain de ne pas être dans l'illégalité »,

cristallise cette bascule vers une société de contrôle où la surveillance omniprésente crée un climat d'incertitude juridique et érode les libertés.

Le DSA, une censure déguisée ? Adopté en 2022, le DSA impose aux plateformes numériques de l'UE des obligations strictes pour modérer les contenus illégaux et lutter contre la désinformation. Bien que présenté comme une mesure de protection des consommateurs, le DSA accorde aux autorités européennes un pouvoir accru pour accéder aux données des utilisateurs et sanctionner les plateformes. Des critiques, notamment parmi les défenseurs des libertés numériques, estiment que le DSA pourrait être utilisé pour censurer des opinions dissidentes, sous prétexte de « sécurité publique ». Cette dynamique rappelle les accusations contre DOGE, où la collecte de données est justifiée par l'efficacité, mais risque d'être détournée à des fins politiques.

JO 2024 : la reconnaissance faciale en embuscade. En France, les Jeux olympiques de 2024 à Paris ont été marqués par le déploiement de caméras de reconnaissance faciale, officiellement pour assurer la sécurité. Ces technologies, combinées à des algorithmes d'analyse comportementale, ont suscité des inquiétudes parmi les associations de défense des droits, comme La Quadrature du Net, qui y voient une normalisation de la surveillance de masse. Bien que l'UE encadre strictement ces pratiques via le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), leur utilisation temporaire pour des événements spécifiques illustre une tendance à étendre les exceptions au nom de la sécurité, créant un précédent pour des usages plus permanents.

ZFE, un flicage environnemental : les Zones à Faibles Émissions (ZFE), comme à Paris, traquent les véhicules via des caméras et des amendes automatiques. Ce contrôle des déplacements, opaque, incarne la formule d'Houpert : « les citoyens doivent prouver leur conformité plutôt que l'Etat démontrer leur infraction ». Ce renversement du paradigme juridique évoque les craintes d'Angwin, où la collecte de données par DOGE place les individus dans une position de vulnérabilité constante.

Censure des scientifiques : les scientifiques, comme les professeurs Raoult ou Perronne portant une voix opposée aux politiques sanitaires, se sont vus dénigrés et invisibilisés. Leurs études ont été attaquées sur les plateformes comme Pubpeer pour des motifs contournant la législation française sur l'éthique, oubliant ainsi l'intérêt primaire des patients. La science a été contrôlée dans l'intérêt des puissants pour servir le pouvoir en place et non l'intérêt des patients.

Pass sanitaire et portefeuille numérique : le pass sanitaire, imposé pendant la pandémie, a banalisé la collecte de données de santé via des QR codes. Le projet de portefeuille numérique européen, centralisant les données d'identité, fait écho à la « base de données de la ruine » d'Angwin. Ces outils, combinés à la défiance révélée par le sondage d'Alain Houpert, montrent comment la surveillance alimente l'aliénation.

La charge de Julia Angwin contre DOGE, dans un New York Times notoirement anti-Trump, expose une menace réelle, mais son silence sur les abus sous Biden trahit un possible biais progressiste. Les fondations de la surveillance, posées par des décennies de politiques bipartisanes, relativisent l'idée d'une rupture trumpiste. Matt Taibbi, en fustigeant l'hypocrisie du Times, plaide pour une résistance unie contre la surveillance. En Europe, le DSA, la reconnaissance faciale, les ZFE et le pass sanitaire, dans un climat où 83 % des Français se sentent ignorés, reflètent une société de contrôle où l'incertitude juridique devient la norme.

Ces parallèles transatlantiques soulignent l'urgence d'une réforme globale des lois sur la vie privée, pour protéger les libertés face à des systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués, et aussi protéger la science des dérives autoritaires.

Sources :

Angwin, J. (2025, April 30). This Is What We Were Always Scared of: DOGE Is Building a Surveillance State. The New York Times. Disponible sur :  nytimes.com

Taibbi, M. (2025). New York Times: Trump Invented the Authoritarian Playbook. Racket News. Disponible sur :  racket.news

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