Ferme de la Chauvinière. © Agir pour l'environnement.
Un agriculteur locataire qui part à la retraite, une famille propriétaire soucieuse de prendre soin de la terre, un cousin qui souhaite s'installer sans chimie et un contrat foncier méconnu mais prometteur. Voici les ingrédients de l'histoire récente de la ferme de la Chauvinière, qui s'étend sur 36 hectares à Pommerieux, dans le sud de la Mayenne, au centre d'un triangle reliant Angers, Rennes et Le Mans.
« Ce sont de bonnes terres et le départ à la retraite de notre locataire a attiré les convoitises des fermes voisines souhaitant s'agrandir, explique Benoît Laurent, co-propriétaire de la Chauvinière, avec une vingtaine de frères, sœurs et cousin·es réuni·es au sein d'un groupement foncier rural (GFR). Mais nous, on voulait plutôt convertir les terres en agriculture biologique, reconstituer les haies et régénérer la biodiversité. » Problème : aucun·e des membres du GFR ne souhaite s'installer. Ils et elles se tournent alors vers l' obligation réelle environnementale (ORE).
Une protection durable
« Les ORE ont été introduites dans le code de l'environnement en 2016, lors du vote de la loi pour la reconquête de la biodiversité, précise Éric Meiller, notaire à Saint-Chamond (dans la Loire) et spécialiste du sujet. C'est un outil inspiré du droit nord-américain au départ prévu pour les compensations écologiques de projets qui portent atteinte à l'environnement. Mais les ORE peuvent aussi être utilisées par des propriétaires ayant à cœur de protéger leurs terres, terrains et jardins. » Inscrites dans un contrat signé chez un·e notaire, les ORE sont attachées à une propriété et non à un·e propriétaire. La personne qui hérite, ou qui rachète, est par conséquent tenue par les engagements de ce contrat qui peut durer jusqu'à 99 ans.
Les membres du groupement foncier rural, propriétaire de la ferme de la Chauvinière tiennent à protéger les terres de l'agrandissement et de pratiques agricoles néfastes pour l'environnement.
© GFR de la Chauvinière
À la Chauvinière, c'est Agir pour l'environnement (APE) qui est co-signataire du contrat, les associations environnementales faisant partie des bénéficiaires potentiels de l'ORE. En France, France Nature Environnement (FNE), l'Association de protection des animaux sauvage (Aspas) et la Ligue de protection des oiseaux (LPO) s'intéressent également à cet outil de l'ORE. De même que les conservatoires d'espaces naturels.
« On arrive dans la cinquantaine et on tient tous et toutes à ce que la protection des terres soit vraiment durable, explique Véronique Saada-Boucher, membre du GFR de la Chauvinière, qui s'est chargée de creuser les possibilités offertes par les ORE. On est allés voir notre notaire, qui a été d'accord pour nous adapter un contrat tenant compte de l'aspect agricole. » Les cousin·es et la notaire ont défini ensemble les clauses de protection environnementales. « On a décidé que les terres devaient être cultivées selon le cahier des charges de l'agriculture biologique et que l'on réserverait une place aux haies, environ deux mètres de large autour des parcelles. Les dix dernières années, la ferme a été exploitée de manière plutôt intensive, donc il y a beaucoup à faire pour que la biodiversité se réinstalle. »
« La sanctuarisation des terres sur le très long terme nous a vraiment séduit·es, intervient Benoît Laurent. Et le principe de l'ORE a été adopté quelques mois après que nous l'ayons découvert, lors de l'assemblée générale annuelle du GFR, en février 2024. » Reste alors à trouver celle ou celui qui va s'occuper des terres ainsi protégées. C'est à ce moment-là qu'Amaury Laurent débarque dans le projet. Lui aussi cousin de la famille, il est technicien en charge des cultures bios au sein de la coopérative Terrena. Au printemps 2024, Véronique le contacte pour des conseils relatifs aux jachères et elle découvre qu'il cherche des terres pour s'installer. La petite surface proposée par le GFR lui convient parfaitement, puisqu'il souhaite conserver son poste de technicien parallèlement à son activité agricole. « J'avais le bon profil par rapport à ce que le GFR cherchait, explique Amaury Laurent. Et leur projet entrait parfaitement dans ma vision de la conduite d'une installation, avec un respect de la biodiversité, l'implantation de haies, etc. »
Un outil pour diverses luttes
Amaury Laurent a bénéficié d'une installation très rapide, opérée en quelques mois seulement. « Je rentrais dans les conditions pour "l'installation directe", détaille-t-il : J'ai un diplôme agricole, un projet de moins de 45 hectares et un accord avec le propriétaire pour signer un bail rural environnemental. » Entamées en août 2024, les négociations se sont achevées par une autorisation d'exploiter accordée par les services de l'État en octobre suivant. Celles et ceux qui avaient des vues sur les terres ont sans doute été un peu étonné·es. « En même temps, le fait qu'il y ait une ORE et l'obligation du respect du cahier des charges de l'agriculture biologique, cela limitait le nombre de candidats », remarque Amaury Laurent, qui a déjà semé du blé, des féveroles, de la luzerne et de l'orge. Il prévoit aussi de semer du lupin, de l'épeautre et du colza.

Sur les terres de la ferme.
© GFR de la Chauvinière
« Pour les terres agricoles, l'ORE fonctionne à condition que le locataire soit d'accord et que la signature d'un bail rural environnemental soit bien spécifiée dans le contrat, note Éric Meiller. Dans la mesure où cela protège les terres agricoles d'une éventuelle artificialisation, les locataires sont souvent d'accord. Mais il ne faut pas que ce soit trop contraignant non plus. Cela fonctionne quand il y a une bonne entente avec les propriétaires. » Difficile, par conséquent, de compter sur les ORE pour pacifier les campagnes et envisager une conversion massive vers des pratiques agricoles sans engrais ni pesticides.
« Cela ne fonctionne pas non plus pour des projets tels que les extensions de centrales nucléaires, ajoute Éric Meiller, qui a été sollicité sur ce sujet par des mouvements de luttes. Ce sont en effet des projets déclarés d'utilité publique, portés par des collectivités qui ont le pouvoir d'exproprier les propriétaires qui ne veulent pas vendre, ORE ou pas. » Même chose pour des projets autoroutiers comme l'A69 par exemple.
Une veille constante est nécessaire
L'outil peut en revanche être utilisé pour prévenir des extensions d'usines ou de carrières. « Les propriétaires de terrains attenants aux carrières, par exemple, peuvent contracter des ORE, soit chacun·e de leur côté, soit collectivement. Cela bloquera toute possibilité d'extension », explique le notaire. L'ORE peut aussi être mobilisée contre la spéculation immobilière. « La plupart des ORE que nous avons signées concernent des jardins en ville et des zones périurbaines, nous avons aussi quelques parcelles de forêt », signale Lucie Pelous, de l'association Agir pour l'environnement, qui est engagée dans plus de 40 ORE, la plupart avec Éric Meiller.
« Le profil type, ce sont des personnes avec un grand jardin urbain auquel elles sont très attachées, avec de vieux arbres dont certains avec le label « arbres remarquables », et qu'elles ne souhaitent pas voir raser pour la construction de lotissements, mentionne-t-il. Rares sont les promoteurs qui vont prendre le risque de faire des travaux s'ils savent qu'il y a un risque de contentieux. »
« Pour le moment, les biens fonciers pour lesquels nous avons signé des ORE sont encore entre les mains des propriétaires qui nous ont contacté·es, souligne Lucie Pelous. Ils et elles ne vont donc pas contrevenir à leurs propres engagements. Les contentieux, c'est sans doute l'étape d'après. » En cas de non-respect de l'ORE, il faut aller devant le tribunal judiciaire. Mais dans la mesure où les dommages causés sont souvent irréversibles (des arbres centenaires arrachés par exemple ou une aire de biodiversité bétonnée), mieux vaut intervenir en amont.
« Il est essentiel d'avoir un tiers associatif qui est soucieux et a les moyens de surveiller l'ORE dans le temps, pense Éric Meiller. Sinon, ce contrat ne sert à rien. Mais avec une association militante, ce peut être particulièrement efficace. » Les nombreux·ses membres du GFR de la Chauvinière, appuyé·es en plus par APE, sont plutôt confiant·es de ce côté-là. Et ce soin qu'ils et elles veulent apporter à la terre, c'est aussi pour protéger celles et ceux qui la travaillent. « Sur huit agriculteurs qui ont cultivé les terres ici, quatre sont malades à cause des pesticides, rappelle Véronique Saada-Boucher. C'est un point central de notre motivation. »
Journaliste, basée en Bretagne. Pour Basta! je vais à la rencontre de ceux et celles qui se battent pour leur dignité : femmes victimes de violences, salariés malmenés, ouvriers intoxiqués. Je traîne aussi dans les champs, à la rencontre de ceux et celles qui cherchent des alternatives aux pesticides.