Par Ramzy Baroud, le 1er mai 2025
Comment une vidéo a dévoilé les luttes de pouvoir internes en Israël.
La chaîne israélienne Channel 12 a fait un choix vraiment curieux en décidant de publier, le 22 avril, l'une des vidéos les plus humiliantes montrant une attaque contre des soldats israéliens par un seul combattant palestinien.
Alors que les soldats descendaient en titubant les escaliers d'un immeuble à Khan Yunis, dans le sud de Gaza, le chaos s'est installé : certains sont tombés les uns sur les autres, d'autres se sont cachés derrière un mur de béton, et certains ont même tiré dans tous les sens, mettant en danger leurs propres collègues.
On peut donc se poser la question suivante : alors que les médias israéliens obéissent souvent à une censure militaire stricte et souvent abusive, pourquoi ont-ils décidé de diffuser une image aussi préjudiciable de leurs propres soldats ?
La réponse est la guerre ouverte entre l'institution politique israélienne, représentée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu d'une part, et le reste du pays d'autre part.
Le "reste du pays" peut sembler être un concept vague, mais il n'en est rien. Actuellement, Netanyahu est en guerre contre l' institution militaire, l'agence de renseignement interne Shin Bet, le pouvoir judiciaire, une grande partie des médias et la majorité des Israéliens qui exigent que la guerre cesse et que les prisonniers israéliens soient libérés.
Ceci explique les critiques ouvertes et sans précédent formulées par d'anciens hauts responsables israéliens accusant Netanyahu de représenter un danger, non seulement pour l'armée et la société israéliennes, mais aussi pour l'avenir même d'Israël.
Le 21 avril, le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a enfreint tous les protocoles en présentant à la Cour suprême d'Israël deux documents, dont l'un a été rendu public.
Selon les médias israéliens, dans une déclaration sous serment non classifiée, Bar a déclaré avoir été licencié
"en raison de son refus de se plier au devoir de loyauté", notamment "s'agissant des enquêtes sur les collaborateurs du Premier ministre" et pour "avoir refusé d'aider Netanyahu à échapper à une comparution dans le cadre de son procès pénal".
Les propos de Bar constituent non seulement un tournant historique majeur dans la gestion de questions sécuritaires extrêmement sensibles par les acteurs du pouvoir en Israël, mais aussi, sur le fond, un appel à renverser Netanyahu.
L'ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman, s'est montré tout aussi virulent, et le premier à évoquer les transgressions de Netanyahu, suggérant une coordination claire entre plusieurs membres de la puissante et tristement célèbre agence de renseignement israélienne.
"Si le Premier ministre agit de manière illégale, je dirai tout ce que je sais",
a-t-il déclaré à la chaîne israélienne Channel 12 le mois dernier.
Cette concertation va plus loin encore, puisque l'ancien ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, qui, tout comme Netanyahu, est recherché par la Cour pénale internationale, s'est lui aussi lâché le 23 avril.
Outre ses attaques directes contre Netanyahu, qualifiant sa politique de "déchéance morale", il s'en prend à l'armée israélienne elle-même, révélant qu'Israël a mis en scène, en août dernier, des photos d'un prétendu tunnel du Hamas afin d'empêcher un accord de cessez-le-feu.
Le gouvernement israélien a utilisé cet épisode spécifique pour justifier le maintien du contrôle sur le couloir de Philadelphi dans le sud de Gaza, une justification qui a émergé peu après la diffusion d'une vidéo très embarrassante montrant des soldats israéliens prenant la fuite, terrifiés, devant un combattant isolé. Les humiliations s'accumulent.
Si les déclarations de Gallant discréditent l'armée et ses propres dirigeants, son objectif premier semble être de nuire à Netanyahu, que de nombreux Israéliens considèrent comme responsable de la poursuite de la guerre à Gaza pour servir ses intérêts politiques personnels.
Les pertes réelles d'Israël dans cette guerre sont un autre point essentiel. L'un des secrets les mieux gardés de l'histoire d'Israël est le nombre de ses pertes dans les guerres contre les armées arabes ou la résistance. Le nombre de ses victimes dans la guerre actuelle contre Gaza était un secret bien gardé, mais plus aujourd'hui.
Bien que l'armée israélienne ait tenté de minimiser le nombre de ses victimes depuis le début des représailles, le 7 octobre 2023, elle a été confrontée à de nombreuses fuites d'informations, dont certaines proviennent de l'armée elle-même. L'objectif ? Faire pression sur Netanyahu pour qu'il mette fin aux représailles, notamment à la lumière de nouvelles informations selon lesquelles au moins la moitié des réservistes israéliens refusent de retourner au combat.
C'est d'ailleurs Eyal Zamir, le remplaçant choisi par Netanyahu pour succéder à Herzi Halevi, l'ancien chef d'état-major, qui a créé la surprise dans un discours prononcé peu après sa nomination en février dernier. Zamir a révélé que 5 942 familles israéliennes ont rejoint "la liste des familles endeuillées" en 2024.
Zamir, qui a déjà affirmé que "2025 sera une année de guerre", semble désormais moins enclin à intensifier le conflit au-delà des capacités d'Israël.
La guerre entre les élites politiques, militaires et du renseignement israéliennes n'a jamais été aussi intense, voire ouvertement déclarée, comme si les deux camps étaient parvenus à la conclusion que leur survie - et celle d'Israël lui-même - dépend de la défaite de l'autre camp.
Après quelques hésitations et une formulation relativement prudente, Gallant a désormais rejoint le chœur du mouvement puissant d'anciens responsables qui veulent se débarrasser de Netanyahu par tous les moyens, y compris la désobéissance civile.
Ce conflit interne au sein de l'élite israélienne marque une rupture avec l'image véhiculée depuis toujours. Pendant des décennies, Israël s'est dépeint comme un phare de la démocratie et l'incarnation de la civilisation parmi ses voisins prétendument moins cultivés. Mais le génocide de Gaza a brisé le mythe.
En conséquence, les luttes intestines que se livrent actuellement les artisans mêmes de ce fantasme israélien offrent une occasion sans précédent de faire éclater au grand jour des vérités plus profondes, non seulement sur la guerre en cours à Gaza, mais aussi sur l'histoire d'Israël, depuis sa création sur la terre historique de la Palestine jusqu'au génocide qu'il perpétue, près de huit décennies plus tard.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef du Palestine Chronicle. Il a écrit six livres et contribué à de nombreux autres. Le Dr Baroud est également chercheur senior non résident au Center for Islam and Global Affairs CIGA.