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Le combat de catch politique entre Trump et Harvard

Par Ron Unz − Le 21 avril 2025 − Source  Unz Review

Durant mon enfance, mon grand-père aimait regarder des combats de catch sur sa vieille télévision noir et blanc, et il m'est arrivé d'en regarder avec lui.

En ces temps reculés, le catch diffusé à la télévision ne disposait ni des financements, ni du prestige dont il dispose aujourd'hui, et rares étaient ceux qui le considéraient comme un vrai sport ; il est probable que cette discipline rivalisait avec le roller derby dans les records des audiences les plus faibles. Les combats de catch n'étaient diffusés que sur l'une des stations de télévision locales les moins en vogue, qui n'étaient affiliées à aucun réseau d'ampleur et dont les dirigeants cherchaient n'importe quoi à diffuser durant leurs heures d'antenne disponibles.

L'idée que le catch pût un jour devenir une entreprise nationale brassant des milliards de dollars aurait elle-même été considérée comme totalement excentrique et ridicule. Bien qu'un film de science fiction produit en 1975 par Hollywood sous le nom de Rollerball déployât la vision d'une Amérique du futur ayant comme sport numéro 1 une version mortelle du roller derby, personne à l'époque n'imagina que tel pût être le cas pour le catch.

Depuis cette époque de la télévision en noir et blanc de mon enfance, je n'ai pas vu le moindre combat de catch, et mes souvenirs se sont érodés, mais je pense que ces combats devaient souvent produire des concours par équipes, opposant des paires de catcheurs.

Si tel est bien le cas, nos gros titres nationaux sont actuellement en train de diffuser un combat de catch au format poids lourd, visant à déterminer l'avenir du système universitaire élitaire des États-Unis, et peut-être bien de l'ensemble de la société étasunienne. Le président Donald Trump fait face à l'Université de Harvard dans ce qui est le plus grand combat politique de ce début de siècle, et chacune de ces têtes d'affiche est soutenu par le second qu'elle s'est choisie.

Trump est un auteur à succès, qui a fait publier plus de vingt volumes signés de sa plume, et nombre d'entre eux sont des best-sellers à gros tirage traitant de stratégie d'affaires, de politique, et de négociation. Mais je ne suis pas tout à fait convaincu que l'homme ait en réalité de toute sa vie lu un seul livre du début à la fin, y compris les siens, et si tel est le cas, je soupçonne que sa dernière lecture remonte à des décennies en arrière, peut-être d'un livre empli de nombreuses images en couleur.

Dans le même temps, son principal opposant dans ce combat est l'université la plus ancienne des États-Unis, qui approche aujourd'hui de sa 390ème année d'existence, longtemps classée comme l'institution universitaire d'élite la plus riche et la plus prestigieuse au monde.

Pour co-équipière loyale, Trump a nommé sa Secrétaire à l'Éducation, Linda McMahon, la milliardaire issue du monde du catch, cependant que Harvard est secondée par l'Université de Columbia, encore marquée par la rouée de coups qu'elle a récemment reçus des mains de l'équipe Trump-McMahon avant l'entrée sur le ring de Harvard.

L'Université de Columbia, certes riche et très prestigieuse, reste sans doute classée un peu en dessous du vieux triumvirat Harvard-Yale-Princeton. Aussi, la menace d'une perte de 400 millions de dollars de financements fédéraux annuels, énoncée il y a quelques semaines, a mis l'université à genoux, et a contraint son administration à capituler sur l'ensemble des points importants qui lui étaient demandés.

Des équipes d'agents fédéraux ont été autorisées à mener des perquisitions dans des logements étudiants, et à en sortir de gré ou de force toute personne étrangère soupçonnée d'avoir critique Israël, l'administration a accepté de créer une unité spéciale composée de 30 agents de sécurité du campus, dont la tâche est de supprimer toute manifestation publique d'anti-sionisme, et son programme prestigieux d'Études du Moyen-Orient a été placé sous « relecture académique », vraisemblablement dans l'objectif de s'assurer que ses enseignements deviennent pleinement favorables à Israël.

Toutes ces concessions ont été accordées par la présidente en exercice Katrina Armstrong, qui a démissionné par la suite en raison des terribles pressions qu'elle avait subies, ce qui a fait d'elle le second président de Columbia à démissionner en à peine huit mois.

Sur la base de cette histoire récente et douloureuse, nous assistons donc clairement à un match lourd de rancune tels qu'ils sont devenus populaires dans le catch professionnel, avec une Columbia, désireuse d'avoir sa revanche à présent qu'elle a dans son camp la puissante Harvard.

Dans le milieu du catch professionnel, comme dans les autres sports à spectacle, les spectateurs peuvent se rallier à l'un ou l'autre des champions, ou se contenter d'assister au combat sans prendre parti.

Au vu de l'ignorance de Trump et de la stupidité des politiques qu'il lance, comme récemment démontré par  ses propositions de barrières douanières dignes des Looney Tunes, il me serait bel et bien impossible de me ranger dans son camp. Mais au lieu de rester neutre, je me retrouve tout à fait dans le camp de Harvard.

Ma position pourrait apparaître quelque peu étrange, au vu des critiques acerbes que j'ai exprimées envers mon alma mater au fil des ans, parfois sur les sujets mêmes que l'administration Trump est en train d'attaquer avec férocité.

Par exemple, en 2012 déjà, j'avais publié un court article affirmant que Harvard s'était peu à peu transformée, d'un grand centre d'enseignement universitaire, en un énorme fonds financier spéculatif, affublé d'une petite école sur son flan.

Comme je l'ai indiqué dans un éditorial ayant fait suite quelques jours plus tard, mes critiques avaient produit des résonances profondes dans les cercles journalistiques libéraux, et durant les années qui ont suivi, la dénonciation de nos universités d'élite devenues des fonds spéculatifs déguisés s'est largement répandue :

Vendredi, en fin d'après midi, l'article était mis en exergue sur les sites internet de Business Insider et de CNBC, et a bientôt été  redistribué sur twitter par toute une foule de personnes, dont certains journalistes de premier plan. Chris Hayes, de MSNBC, a tweeté « très jaloux de ne pas être l'auteur de cet article » à ses 175000 followers, Bart Gellman, lauréat du prix Pulitzer, l'a décrit comme « révélateur », et Annie Lowrey, reporter politique du New York Times, a utilisé la phrase « Harvard est un fonds spéculatif géant doublé d'une petite université de recherche. »

Qui plus est, cet article en particulier avait de fait été publié en marge de mon analyse très fouillée des pratiques d'admission de Harvard et de nos autres universités d'élite, qui servent dans leur ensemble d'entonnoir aux postes les plus élevés dans les sphères académiques, judiciaires, des milieux d'affaires, des médias et de la finance. Mes statistiques  démontraient que leur processus d'admission était devenu désespérément corrompu, et j'ai résumé ces conclusions.

Au cours des décennies récentes, la politique d'admission des universités d'élite est souvent devenus un champ de bataille idéologique entre libéraux et conservateurs, mais j'ai tendance à penser que ces deux camps opposés ont tous deux éludé la véritable réalité de la situation.

Les conservateurs dénoncent les politiques « d'action affirmative » qui privilégient la race au mérite académique, et débouchent ainsi sur l'admission de Noirs et d'Hispaniques moins qualifiés que leurs compétiteurs blancs ou asiatiques ; ils affirment que nos institutions d'élite devraient demeurer aveugles aux couleurs et neutres vis-à-vis des races. Dans le même temps, les libéraux répliquent que le corps étudiant de ces institutions devrait « ressembler aux États-Unis », à peu près du moins, et que la diversité ethnique et raciale apporte de manière intrinsèque d'importants bénéfices aux formations, au moins si tous les étudiants admis sont raisonnablement qualifiés et capables de mener à bien les travaux.

Ma position personnelle a toujours relevé du premier camp, et je soutiens la méritocratie au-dessus de la diversité dans les admissions d'élite. Mais sur la base des éléments détaillés que j'ai discutés ci-avant, il apparaît que ces deux valeurs idéologiques ont peu à peu été submergées et remplacées par l'influence de la corruption et du favoritisme ethnique, produisant une sélection des futures élites étasuniennes qui n'est ni méritocratique, ni diverse, puisque ce système ne choisit ni les étudiants les plus capables, ni ne reflète raisonnablement la population générale étasunienne.

La preuve écrasante est que le système actuellement employé par nos universités d'élite admet des postulants dont les capacités peuvent être peu remarquables, mais qui bénéficient de manipulations et de favoritisme sournois. Toute nation remettant l'avenir de sa direction entre les mains de telles personnes est promise à connaître d'énormes problèmes économiques et sociaux, le type exact de problèmes que notre pays semble avoir connu de plus en plus au cours des dernières décennies. À moins que les admissions absurdement biaisées de nos institutions académiques d'élite soient corrigées, la composition de ces institutions à la source va garantir que des problèmes nationaux ne vont faire que croître au fil du temps.

David Brooks, éditorialiste du New York Times, a bientôt  classé mon article comme potentiel meilleur article paru dans un magazine étasunien de l'année, un verdict 𝕏 fermement soutenu par un éditeur haut placé de The Economist. La Yale Political Union et la Yale Law School  m'ont invité à donner quelques conférences publiques sur cette conclusion controversée et sur le reste de mon analyse sur la méritocratie.  Une très longue liste d'auteurs et d'intellectuels publics a commenté mon article, dont une écrasante majorité de manière très favorable, et leurs discussions ont paru dans  Forbes,  The Atlantic,  The Washington Monthly,  Business Insider, et diverses autres publications. Celles-ci comprenaient des personnalités publiques de premier plan comme  Niall Ferguson et  Fareed Zakaria, professeurs à Harvard.

L'une de mes découvertes centrales a résidé dans l'existence de la preuve quantitative très forte du fait que Harvard et les autres établissements de l'Ivy League pratiquaient de la discrimination raciale en maintenant furtivement des quotas d'Asiatiques dans leurs politiques d'admission, et ceci a rapidement amené le New York Times à organiser un important symposium  sur ce sujet explosif, auquel je me suis empressé de participer. Mon graphique, apportant la démonstration de la convergence extrêmement suspecte des admissions d'asiatiques dans l'ensemble des établissements de l'Ivy a été redistribué très largement sur Internet, a été republié jusque par le Times, et semble constituer une preuve de « flagrant délit » d'une chose qui avait été depuis très longtemps soupçonnée.

Comme je l'ai exposé  dans mon article du Times :

Après la conclusion d'une enquête par le Département de la Justice au début des années 1990, faisant suite à des accusations de discrimination par l'Université de Harvard contre des candidats étasuniens d'ascendance asiatique, le taux d'admission de ces derniers a peu à peu commencé à décliné, chutant de 20,6 % en 1993 à environ 16,5 % durant le plus gros de la dernière décennie.

Ce déclin pourrait être considéré comme faible. Mais sur la même période, on constate une énorme augmentation de la population étasunienne d'ascendance asiatique en âge d'entrer à l'université, qui a plus ou moins doublé entre 1992 et 2011, alors que les nombres restaient quasiment inchangés pour les Blancs non-hispaniques. Aussi, selon les statistiques officielles, le pourcentage des Étasuniens d'ascendance asiatique admis à Harvard a chuté de plus de 50 % au cours des vingt dernières années, alors que le pourcentage de Blancs n'a qu'à peine changé. Ce déclin relatif des admissions d'Étasuniens d'ascendance asiatique était de fait plus important que l'impact du quota établi en 1925 par Harvard sur les Juifs, qui avait réduit le nombre d'étudiants juifs de 27,6 % à 15 %.

Les cercles conservateurs se sont considérablement intéressés à la question, et Charles Murray  a mis en exergue mon analyse, si bien que quelques semaines plus tard, j'ai publié un article dans National Review affirmant que mes découvertes pouvaient apporter des raisons juridiques à la Cour Suprême de revenir sur sa décision Bakke, établie en 1978, qui avait établi les fondements de décennies de politiques d'Action Affirmative :

De fait, l'année suivante, un groupe de plaignants asiatiques étasuniens a déposé plainte remettant en cause le système d'admissions de Harvard comme discriminatoire. Cette affaire a mis 10 ans à se frayer un chemin dans le système judiciaire fédéral, et le 29 juin 2023, la plainte a débouché sur  une décision par 6 voix contre 3 de la Cour Suprême, abolissant l'arrêt Bakke 45 ans après qu'il fût énoncé. Ce coup de tonnerre juridique a fortement éliminé le fondement légal des actions affirmatives dans les admissions à l'université et dans de nombreux autres domaines de la société étasunienne.

J'étais évidemment de tout cœur du côté de ces plaignants asiatiques dans leur entreprise judiciaire, mais je ne me suis pas impliqué dans cette affaire, et j'étais de fait vraiment pessimiste quant à ses chances de réussite. Au cours des décennies, plusieurs tentatives avaient été menées de convaincre la Cour Suprême de revenir sur l'arrêt Bakke, qui avaient toutes échoué, et j'en étais venu à penser que ce type de projet légal était sans doute désespéré.

Quoi qu'il en soit, alors même que cette affaire passait d'un tribunal à l'autre, j'ai lancé une campagne totalement différente visant à réformer drastiquement la politique de formation à Harvard et à en faire autant dans nombre de nos universités d'élite.

En 2015, le New York Times avait sollicité mon opinion pour  un symposium concernant une réforme des admissions dans les hautes études étasuniennes. Dans mon article, j'indiquais que Harvard et certaines de nos universités les plus élitistes avaient accumulé des dotations tellement énormes que la partie de leurs revenus versés aux titres de frais de scolarité par les étudiants de premier cycle étaient devenu totalement insignifiante. Par conséquent,  j'affirmais qu'ils devraient simplement abolir les frais de scolarité des universités.

Les nombres sont très parlants. Actuellement, les 6600 étudiants de premier cycle relevant de Harvard versent chacun 44 000 $ de frais de scolarité par an, avec des réductions substantielles pour les étudiants provenant des familles les moins aisées. Les frais de scolarité des étudiants apportent donc sans doute beaucoup moins de 200 millions de dollars au budget annuel de Harvard. Dans le même temps, la partie de fonds spéculatif des opérations de Harvard a généré un retour sur investissement de 5 milliards de dollars l'an dernier, un montant au moins 25 fois supérieur. Si tous les étudiants de premier cycle de Harvard disparaissaient demain, ou assistaient aux cours sans verser un centime, l'impact financier subi par Harvard, Inc. serait totalement négligeable.

Mais bien que ces frais de scolarité ne représentent quasiment rien pour Harvard, ils constituent sans aucun doute une barrière effrayante et une charge pour presque toute famille étasunienne. Un processus d'admission est biaisé dès lors que le coût total de quatre années d'études approche les 250 000 $ et dissuade probablement de nombreux étudiants de même y présenter leur candidature...

Une annonce de la gratuité de la formation prodiguée par Harvard libérerait l'imagination du monde, et ouvrirait un bassin de candidats nettement plus vaste et plus diversifié, où l'on trouverait notamment des étudiants très capables ayant jusqu'alors limité leurs objectifs à l'université de leur État local.

En outre, tout ce que j'ai dit au sujet de Harvard s'applique tout aussi bien à la plupart des hautes universités des États-Unis comme Yale, Princeton et Stanford, qui sont également devenues des fonds spéculatifs exemptés d'impôts facturant des frais de scolarité exorbitants. Ces établissements pourraient tout aussi aisément accorder une formation gratuite à leurs étudiants, quasiment sans en ressentir l'impact financier, et produire ainsi un énorme bénéfice social.

J'ai ensuite produit des graphiques qui illustrent que seule une petite frange des revenus de Harvard proviennent des frais de scolarité, ainsi que pour Yale, Princeton, ou Stanford :

Il m'apparaissait comme évident qu'une annonce publique par Harvard, affirmant l'abolition des frais de scolarité capturerait les imaginations du monde entier, et amènerait promptement de nombreuses autres universités parmi les plus riches et les plus élitistes à en faire autant. J'ai donc trouvé extrêmement frustrant le fait qu'il était tout aussi évident que l'administration sclérosée de Harvard refusera à jamais de mener à bien cette action aussi audacieuse que bénéfique.

Aussi, j'ai par la suite  organisé la liste Free Harvard/Fair Harvard des candidats au Conseil de Surveillance de Harvard, et j'ai pu convaincre Ralph Nader, l'icône progressiste de longue date, de prendre la direction de notre mouvement. Nous avons établi une plateforme visant à abolir les frais de scolarité à l'université tout en exigeant de l'université qu'elle se montre beaucoup plus transparente dans ses décisions concernant les admissions. Un excellent et équilibré récit de notre campagne a rapidement été publié dans Harvard Magazine :

Notre campagne à Harvard a coïncidé exactement avec celle de Donald Trump pour la Maison-Blanche, et la réticence des médias à faire mention de certains sujets a semblé démontrer que la plupart des rédacteurs en chef et éditeurs étaient totalement intimidés par le pouvoir et l'influence de Harvard.

Plus de dix années auparavant, Daniel Golden avait  remporté le prix Pulitzer pour sa suite d'articles parus dans le Wall Street Journal documentant la corruption et le favoritisme révoltants dans les pratiques d'admission à Harvard et dans nos autres hautes universités. En 2006, il avait également publié  The Price of Admission, un best-seller très bien accueilli sur le même sujet, et j'ai largement puisé dans cet ouvrage pour produire mon analyse sur la méritocratie.

En autres faits choquants, Golden révèle l'existence d'un truc souvent désigné sous le nom de « the Harvard Price », un versement spécifique de plusieurs millions de dollars - fondamentalement, un pot de vin - qui suffirait à persuader notre université la plus prestigieuse à admettre un candidat sous qualifié. Suite à la plainte déposée par une famille ulcérée, il a réussi à documenter l'exemple spécifique de Jared Kushner, un étudiant totalement nul, qui s'est vu ouvrir les portes de l'admission à Harvard grâce à ce versement réalisé en secret.

Kushner était le gendre de Trump, et une personnalité clé de sa campagne présidentielle de 2016. Comme l'ensemble des médias n'avaient de cesse que d'attaquer Trump sur tous les sujets possibles, j'avais naturellement supposé qu'ils allaient commencer à s'en prendre à lui également, ce qui aurait dopé notre campagne pour le Conseil de Surveillance de Harvard qui dénonçait ces pratiques. Mais malgré tous mes efforts, les médias sont restés totalement silencieux sur cet exemple pitoyable de corruption familiale, apparemment de crainte de se mettre à dos Harvard ne fût-ce que pour avoir évoqué ce scandale.

Aussi, alors que Trump remportait les primaires et poursuivait son chemin vers la présidence, notre candidature au Conseil de Surveillance de Harvard sombra dans la défaite. Il y a plusieurs années, j'ai publié l'histoire détaillée de l'échec de cette campagne dans un long article qui documente tous les aspects du problème de la méritocratie.

Je pense que si Harvard avait soutenu l'une ou l'autre de ces réformes importantes au sujet de la justice des admissions ou les frais de scolarité, elle aurait pu fortement doper le soutien que lui accorde le public sur l'ensemble du spectre idéologique. Mais au lieu de cela, elle a résisté mordicus à toutes ces propositions, et l'étalage de ses richesses et de son arrogance l'a éloigné de plus en plus du public étasunien, ce qui l'a amené à devenir l'une des institutions largement détestées et proche de notre classe dirigeante si méprisée. La gauche l'a laissée vulnérable aux attaques populistes subites et inattendues lancées par le président Donald Trump, et la plupart des autres universités d'élite étasuniennes sont tombées dans le même piège.

Au vu de tous ces éléments, j'aurais en d'autres circonstances pu bien accueillir les attaques lancées par Trump contre ces institutions universitaires arrogantes et corrompues, ce qui aurait pu m'inciter à rester au moins neutre. Mais il m'apparaissait comme évident que les raisons de sa croisade contre Harvard, Columbia et tant d'autres universités de haut niveau n'avaient que peu de choses, voire aucune, à voir avec ces critiques très légitimes ; cette croisade est motivée par des facteurs très différents.

Depuis des décennies, les étudiants des universités d'élite s'engagent régulièrement dans des manifestations publiques sur toute une gamme de sujets différents, et ont été adulés par les communautés médiatiques et universitaires pour cela, le mouvement Black Lives Matter de l'année 2020 en constituant simplement l'exemple le plus récent.

Mais comme j'ai pu le discuter dans une longue suite d'articles, dont le dernier remonte  au mois passé, ce climat idéologique a subitement changé au mois d'octobre 2023 :

Ce long historique de laisser-faire, voire de glorification des manifestations publiques contre les injustices perçues a évidemment été absorbé et pris à cœur par les jeunes étudiants qui sont entrés à l'université au mois de septembre 2023. Dans les semaines qui ont suivi, un raid très osé lancé par les militants du Hamas vivant dans un Gaza assiégé depuis longtemps a pris les Israéliens par surprise et a dépassé les systèmes de défense de haute technologie qui avaient coûté quelque chose comme un demi milliard de dollars à construire. Des centaines de soldats et d'agents de sécurité israéliens ont été tués, ainsi qu'un nombre équivalent de civils, et la plupart de ces derniers sont sans doute morts sous le feu israélien, lancé dans la panique par des soldats israéliens ayant la gâchette facile. Quelque 240 soldats et civils israéliens ont été capturés et amenés à Gaza comme prisonniers, le Hamas espérant échanger leur liberté contre celle de milliers de civils palestiniens détenus depuis des années dans les prisons israéliennes, souvent dans des conditions brutales...

Mais au lieu de s'attaquer au Hamas, Netanyahou a saisi l'opportunité de la vague de sympathie mondiale pour déclencher une attaque militaire sans précédent contre les plus de deux millions de civils vivant à Gaza, apparemment dans le but d'en tuer de grands nombres et de pousser les survivants dans le désert égyptien du Sinaï, permettant à Israël d'annexer leur territoire et de le faire coloniser par des Juifs...

Les combattants du Hamas, à l'abri dans leurs tunnels souterrains, sont restés relativement épargnés par cette attaque, mais les civils ont subi des pertes terribles, dont une grande partie a été infligée par des bombes d'une tonne, que l'on n'avait par le passé quasiment jamais déployé face à des cibles civiles. De vastes portions de Gaza ont rapidement été transformées en paysage lunaire, avec quelque 100 000 bâtiments détruits, y compris des hôpitaux, des églises, des mosquées, des écoles, des universités, des bureaux gouvernementaux, des boulangeries et toutes les autres infrastructures nécessaires au maintien de la vie civile. Après quelques semaines à peine, le Financial Times rapportait que la destruction infligée à une grande partie de Gaza était d'ores et déjà pire que celle subie par les villes allemandes après des années de bombardements alliés durant la seconde guerre mondiale...

Pendant que les dirigeants israéliens faisaient publiquement état de leurs projets de génocide contre leurs ennemis palestiniens et que les soldats israéliens commettaient le plus grand massacre télévisuel d'une population civile de toute l'histoire de l'humanité, les organisations internationales ont peu à peu subi des pressions de plus en plus fortes les amenant à s'impliquer dans le conflit. Fin décembre, l'Afrique du Sud soumettait une plainte de 91 pages à la Cour Internationale de Justice (CIJ) accusant Israël de génocide. Dans les semaines qui ont suivi, les juristes de la CIJ ont émis une suite de décisions adoptées à la quasi unanimité soutenant ces accusations et déclarant que les habitants de Gaza subissaient un risque grave de subir un génocide de la part d'Israël, et le propre juge désigné par Israël pour siéger dans cette instance, un ancien juge de la Cour Suprême israélienne, s'est aligné avec la plupart de ces verdicts...

Durant des générations, les étudiants à l'université ont été lourdement endoctrinés à l'idée des horreurs de l'Holocauste, et il leur était répété sans relâche qu'ils ne devaient jamais conserver le silence alors que des hommes, des femmes et des enfants sans défense se faisaient brutalement attaquer et massacrer. Les images qu'ils voyaient désormais montraient des villes dévastées ou des enfants à l'agonie, des images qui semblaient extraites de films, mais qui reflétaient des événements qui se produisaient bel et bien dans le monde physique...

Dans les semaines qui ont suivi, des étudiants activistes issus de l'ensemble des campus universitaires étasuniens ont commencé à organiser des manifestations publiques contre le massacre terrible qu'Israël était en train de commettre, et les étudiants de Harvard et de Columbia prenaient la tête de ce mouvement :

Suite à ces puissants sentiments animant la jeunesse, des manifestations opposées à Israël se sont déroulées dans de nombreuses universités des États-Unis, ce qui a outragé de nombreux donateurs milliardaires favorables à Israël. Presque immédiatement, certains d'entre eux ont lancé  une campagne de représailles sévères, de nombreux dirigeants d'entreprises déclarant qu'ils allaient mettre sur liste noire permanente tout étudiant à l'université soutenant publiquement la cause palestinienne, et s'engageant à ne jamais en recruter aucun, et ils ont souligné ces menaces au moyen d'une vaste campagne de communication à Harvard et dans les autres universités d'élite.

Il y a quelques semaines, nos dirigeants élus unanimement favorables à Israël ont rejoint le mouvement, appelant les président de plusieurs de nos universités les plus élitaires - Harvard, Penn et le MIT - à témoigner devant eux concernant un supposé « antisémitisme » sur leurs campus. Des membres du Congrès  ont vertement tancé ces dirigeants en raison du fait qu'ils avaient autorisé ces activités opposées à Israël, et sont même allés jusqu'à les accuser dans l'ignorance et l'absurdité à avoir autorisé des appels publics au « génocide juif » sur leurs campus.

La réponse des dirigeants de ces universités a souligné leur soutien à la liberté d'expression, mais a été considérée comme fort peu satisfaisante par les donateurs favorables à Israël et par leurs alliés au sein des médias dominants, si bien que d'énormes pressions ont été exercées pour leur faire quitter leur poste. Dans les jours qui ont suivi, la présidente de Penn et le président du Conseil qui la soutenait ont été  contraints à la démission, et peu de temps après, la première présidente noire de l'histoire de Harvard a subi  le même sort, alors que des groupes favorables à Israël produisaient  des preuves de plagiat étendu commis par elle afin de lui faire quitter son poste.

Je n'ai connaissance d'aucun précédent ayant vu le président d'une université étasunienne d'élite aussi rapidement retiré de son poste pour des raisons idéologiques, et ces deux exemples successifs en l'intervalle d'à peine quelques semaines apparaissent comme un développement totalement inédit, qui présente des implications colossales au sujet de la liberté académique.

En conséquence de cette pression politique massive, ces grandes manifestations universitaires ont été réprimées dans la brutalité, et  ce sont quelque 2300 étudiants qui ont été arrêtés dans des dizaines d'universités sur l'ensemble du pays, une mesure de répression contre la liberté d'expression politique dans les universités étasuniennes qui n'avait jamais été vue auparavant.

Mais en dépit de cette réussite majeure, les donateurs sionistes milliardaires ont considéré leur victoire sur les manifestants comme incomplète. L'administration Biden favorable à Israël ayant été remplacée par une administration Trump encore plus favorable à Israël, ils ont exigé que cette campagne soit étendue afin de déraciner les forces idéologiques considérées par eux comme responsables.

Sous leur influence, Trump et ses principaux conseillers ont déclaré leur intention d'arrêter et d'expulser tout étudiant étranger ayant participé à ces manifestations de campus, ou ayant d'une manière ou d'une autre exprimé une critique marquée à l'encontre d'Israël, et cela a rapidement donné lieu à une suite d'incidents choquants.

Une jeune candidate turque à un doctorat inscrite à l'université Tufts dans le cadre d'une bourse d'étude Fulbright a été enlevée dans la rue, à Boston, par six agents fédéraux masqués, jetée dans une voiture banalisée, et transférée dans une cellule de détention de Louisiane en préparation de son expulsion. D'autres descentes ont été réalisés dans des résidences étudiantes par des équipes d'agents fédéraux pour s'emparer du détenteur palestinien d'une Carte Verte et de son épouse étasunienne enceinte de huit mois. Une étudiante sud-coréenne de premier cycle qui vivait aux États-Unis depuis l'âge de sept ans est entrée dans la clandestinité pour éviter de subir le même sort, et un étudiant en provenance d'Inde s'est rapidement enfui au Canada pour échapper à son arrestation.

Aucun de ces étudiants à l'université n'avait commis le moindre crime, mais des agents fédéraux se sont emparés d'eux au cours de descentes pratiquées au sein des campus ou les ont enlevés dans la rue, simplement pour avoir exprimé une critique publique du gouvernement d'Israël, un pays étranger. Rien d'aussi étrange ne s'était jamais produit aux États-Unis. Le nombre d'étudiants étrangers dont l'expulsion a été ordonnée pour avoir critiqué Israël a désormais atteint  les 1500.

Au cours des décennies passées, la direction universitaire d'une haute école de l'Ivy League comme Columbia aurait pu défendre bec et ongles les étudiants de sa communauté. Mais toute résistance de ce type a été brisée lorsque l'Administration Trump a subitement supprimé 400 millions de dollars de financements annuels. Les demandes comprenaient une totale coopération pour l'arrestation de tout étudiant critique des politiques israéliennes, la création d'une nouvelle force de sécurité intérieure pour supprimer les manifestations anti-israéliennes sur les campus, et la « revue » du prestigieux Programme d'Études sur le Moyen-Orient de l'université, sans doute pour assurer un ferme contrôle sioniste sur ce programme.

La présidente en exercice, Katrina Armstrong, a plié face à ces demandes, et a sacrifié la liberté académique des membres de sa faculté et la liberté personnelle de ses étudiants. Mais  confrontée à des pressions aussi énormes, elle a ensuite démissionné le vendredi soir, sept mois environ après la démission de son prédécesseur pour des raisons à peu près semblables.

Le même jour, les journaux ont également rapporté que la haute direction du Centre d'Études du Moyen-Orient de l'Université de Harvard, tout aussi prestigieux,  avait été renvoyée, sans doute pour s'assurer qu'après plus de soixante-dix années, cette organisation académique indépendante adopterait désormais une orientation fermement favorable à Israël. L'an passé, après que l'ancienne présidente de Harvard défendit fermement la liberté académique face à un comité du Congrès hostile, elle fut rapidement contrainte de démissionner.

L'excuse énoncée par l'administration Trump pour cette attaque sans précédent contre la liberté d'expression et la liberté académique dans les universités étasuniennes était l'objectif impérieux du gouvernement de combattre l'« antisémitisme, » et j'ai noté les ironies extrêmes de cette position :

Il s'agit véritablement d'une situation des plus étranges, qui demande une analyse et une explication soignées. Le terme « antisémitisme » qualifie la critique ou le mépris des Juifs, et au cours des années récentes, les partisans d'Israël ont exigé, et ont souvenu obtenu, que le terme soit étendu pour intégrer également l'anti-sionisme, à savoir l'hostilité envers l'État juif.

Supposons donc que nous concédions ce dernier point et convenions avec les activistes pro-Israël que l'« anti-sionisme » constitue bien une forme d'« antisémitisme. » Au cours des derniers mois, le gouvernement israélien a brutalement massacré des dizaines de milliers de civils impuissants à Gaza, et commis le plus grand massacre télévisuel de l'histoire du monde, cependant que ses hauts dirigeants utilisaient explicitement un langage génocidaire pour décrire les projets qu'ils réservaient aux Palestiniens. De fait, le gouvernement d'Afrique du Sud a produit une requête de 91 pages auprès de la Cour Internationale de Justice, cataloguant ces déclarations israéliennes, ce qui a déclenché un arrêt à la quasi-unanimité des juristes sur le fait que des millions de Palestiniens étaient confrontés à la perspective d'un génocide des mains israéliennes.

De nos jours, la plupart des Occidentaux affirment considérer le génocide sous un jour des plus négatifs. Alors, par syllogisme, cela n'exige-t-il pas d'eux qu'ils rallient et adhèrent à un « antisémitisme » ? Un visiteur débarqué de la planète Mars serait très surpris de constater cet étrange dilemme ainsi que les contorsions philosophiques et psychologiques qu'il semble induire.

Il est tout à fait surprenant que les élites dirigeantes étasuniennes extrêmement « politiquement correctes », ainsi que le reste du monde occidental, acclament à tout rompre l'État racialiste d'Israël alors même que celui-ci tue en grands nombres femmes et enfants, et œuvre avec beaucoup d'efforts pour réduire à la famine quelque deux millions de civils dans son déchaînement génocidaire. Après tout, le régime de l'Apartheid, qui fut établi en Afrique du Sud, bien que nettement plus doux et circonspect, fut universellement condamné, boycotté, et sanctionné pour avoir commis une toute petite partie de ces méfaits.

Mon article se poursuivait en faisant mention du fait que le Congrès avait également commencé à adopter des lois visant à supprimer la liberté d'expression sur les campus universitaires au nom de la lutte contre l'« antisémitisme, » ce dernier terme se trouvant défini dans des termes très étendus.

Il y a quelques années, un ancien haut dirigeant de l'AIPAC s'était vanté  auprès d'un journaliste favorable à sa cause que s'il écrivait quoi que ce fût sur une simple serviette en papier, il pouvait dans les 24 heures obtenir les signatures de 70 sénateurs pour le soutenir, et le pouvoir politique de l'Anti-Defamation League est tout aussi formidable. Il n'a donc guère été surprenant de constater, la semaine dernière, qu' une majorité bipartisane écrasante de 320 voix contre 91 à la Chambre a adopté une loi élargissant le sens de l'anti-sionisme et de l'antisémitisme dans les politiques anti-discriminations du Département de l'Éducation en codifiant les définitions utilisées dans nos lois sur les Droits Civils pour classifier ces idées comme discriminatoires.

Je n'ai pas essayé de lire le texte, mais  l'objectif évident est de contraindre les universités à éradiquer toute activité aussi nocive que des manifestations opposées à Israël sur la communauté des campus, sous peine de perdre les financements fédéraux. Ceci représente une attaque cinglante contre la liberté académique et contre la liberté d'expression et de pensée traditionnelle des États-Unis, et cela peut également provoquer des pressions sur d'autres organisations privées pour les amener à adopter des politiques similaires. Avec une grande ironie,  la définition de l'antisémitisme utilisée dans la loi couvre clairement des portions de la Bible chrétienne, et les législateurs républicains ignorants et compromis ont donc chaleureusement soutenu l'interdiction de la Bible dans un pays dont 95 % de la population a des racines chrétiennes.

Ces affirmations répandues au sein de l'Administration Trump selon lesquelles l'antisémitisme était omniprésent au sein de nos universités d'élite sont particulièrement révoltantes, au vu de certaines découvertes très importantes énoncées par mon article de 2012 sur la méritocratie, des informations qui n'ont quasiment jamais été mentionnées nulle part ailleurs dans nos organes médiatiques pusillanimes. Juste après la décision de la Cour Suprême mettant à bas l'arrêté Bakke et les bases légales de toute action affirmative, j'ai publié un article qui récapitule une partie de mon analyse sur la méritocratie :

La plupart des journalistes et des universitaires étasuniens reconnaissent en silence que les sujets qui touchent aux sensibilités juives constituent le « troisième rail » mortel de leur profession et l'analyse quantitative que j'ai présentée dans  mon analyse de 2012 sur la méritocratie constituait sans doute l'une des analyses les plus explosives publiées où que ce soit depuis des décennies. Dans cette étude, je démontre que la distribution des étudiants dans nos universités d'élite diverge fortement de celle de notre société dans son ensemble, ainsi que de son segment le plus performant, et qu'au lieu de cela, elle indique un biais ethnique très différent.

La meilleure preuve de toutes semble être les récentes listes de semi-finalistes du National Merit Semifinalists, au vu des énormes échantillons statistiques qu'elle implique. Comme discuté ci-avant, ces étudiants constituent à peu près 0,5 % des capacités académiques, les 16 000 meilleurs lycéens de dernière année qui devraient être acceptés dans les universités académiques de l'Ivy League et des autres académies d'élite étasuniennes. En Californie, les noms d'origine blanche dépassent les noms juifs de plus de 8 pour 1 ; au Texas, de plus de 20 pour 1 ; en Floride et dans l'Illinois, d'environ 9 pour 1. Même à New York, l'État le plus peuplé de Juifs des États-Unis, on compte plus de deux étudiants d'élite d'ascendance blanche pour un étudiant d'élite juif. En se basant sur la distribution générale de la population étasunienne, il apparaît qu'environ 65 à 70 % des étudiants très doués des États-Unis sont des Blancs non-juifs, bien au-dessus du total juif qui représente moins de 6 % de ce total.

Il va sans dire que ces proportions sont extrêmement différentes de celles que l'on trouve parmi les étudiants admis à Harvard et les autres universités d'élite, qui tiennent aujourd'hui lieu d'entonnoir direct vers les postes à responsabilité dans les sphères étasuniennes universitaires, juridiques, d'affaires, et de la finance. Sur la base des statistiques rapportées, les Juifs admis à Harvard et dans la plupart des autres écoles de l'Ivy League sont en nombre à peu près égal aux Blancs non-juifs, ce qui apparaît comme extrêmement disproportionné. De fait, les statistiques officielles indiquent que les Blancs non-juifs de Harvard constituent le groupe de population le plus sous-représenté des États-Unis, admis dans une fraction nettement plus faible de leur population nationale que les Noirs ou les Hispaniques, en dépit du fait qu'ils obtiennent des notes nettement plus élevées dans les tests académiques.

À l'examen des éléments statistiques, bien réaliser l'agrégation des données est critique. Prenons le taux d'admissions récentes, entre 2007 et 2011, d'étudiants asiatiques à Harvard, par rapport à leur part estimée au sein des semi-finalistes récents du National Merit Semifinalists, une représentation raisonnable de la population à haute capacité en âge de fréquenter l'université, et comparons ce résultat au nombre équivalent pour les Blancs. Le taux asiatique est de 63 %, légèrement supérieur au taux blanc de 61 %, et ces deux nombres sont très nettement inférieurs à la parité en raison de la présence substantielle des minorités raciales sous-représentées comme les Noirs et les Hispaniques, les étudiants étrangers, et les étudiants de race non mentionnée. Ainsi, il semble n'apparaître aucune preuve de biais racial contre les Asiatiques, même en excluant l'impact indépendant de la race du recrutement par classification athlétique, les admissions héritées, et la diversité géographique.

Mais si l'on traite à part les étudiants juifs, leur taux s'avère être de 435 %, alors que le taux résiduel des Blancs non-juifs chute à un faible 28 %, moins de la moitié du taux asiatique. En conséquence, les Asiatiques apparaissent comme sous-représentés par rapport aux Juifs par un facteur de sept, alors que les Blancs non-juifs constituent de loin le groupe le plus sous-représenté de tous, malgré les bénéfices qu'ils pourraient recevoir de la part des facteurs athlétiques, d'héritage, ou de distribution géographique. Le reste de l'Ivy League a pour tendance à suivre un schéma similaire, avec un ratio juif général de 381 %, un taux asiatique de 62 %, et un taux de Blancs non-juifs de 35 %, toujours par rapport à leurs nombres parmi les étudiants très doués en âge de fréquenter l'université.

Les tendances longues des admissions sont tout aussi frappantes que ces nombres actuels très disproportionnés. Au cours des trois décennies écoulées depuis que j'ai été diplômé de Harvard, la présence de Blancs a chuté de 70 %, alors qu'aucun déclin comparable n'a été constaté dans la taille relative ou dans les performances académiques de cette population ; dans le même temps, le pourcentage d'étudiants juifs a de fait augmenté. Cette période a sans aucun doute vu un accroissement très marqué des nombres d'étudiants asiatiques, hispaniques et étrangers, ainsi qu'une certaine augmentation du nombre d'étudiants noirs. Mais il semble tout à fait étrange que toutes ces augmentations se soient produites au détriment des Blancs de culture chrétienne, et absolument pas au détriment des Juifs.

Sur la base de ces nombres, les étudiants juifs avaient peu ou prou une probabilité de 1 000 % supérieure de se voir admis à Harvard ou au sein de l'Ivy League que les Blancs présentant des capacités similaires. Voilà qui constituait un résultat tout à fait stupéfiant, car une sous-représentation dans la gamme de 20 à 30 % est souvent considérée par les tribunaux comme une preuve flagrante de discrimination raciale.

Plusieurs de mes tableaux et graphiques présentent de manière très nette ces découvertes remarquables :



Ces graphiques démontrent la réalité cachée, qui est que les Blancs restent lourdement sous-représentés dans les universités d'élite, non seulement eu égard à leur fraction parmi les étudiants les plus doués, mais même relativement à leur part dans la population en âge de fréquenter l'université. Les administrateurs des universités pourraient se tracasser de ce que les Noirs ou les Hispaniques ne soient pas admis à proportion de leurs nombres nationaux, mais le taux de sous-admission des Blancs non-juifs est de fait nettement plus sévère. Dans une grande mesure, le corps étudiant de nos universités d'élites constitue la prochaine génération de nos élites nationales sous forme embryonnaire, et au cours des récentes décennies, les Blancs ont été de plus en plus exclus de ce bassin important.

Toutes ces statistiques de méritocratie ont été au départ compilées il y a dix ans, mais lorsque je les ai de temps à autre mises à jour, j'ai remarqué que peu de choses changeaient, hormis du fait qu'elles se faisaient parfois encore plus extrêmes. Comme je l'ai mentionné, des découvertes légales ont révélé qu'une étude interne de Harvard avait largement confirmé mon analyse de la discrimination asiatique, mais avait été supprimée. Dans le même temps, mon analyse nettement plus explosive de la sur-représentation des Juifs n'a jamais été remise en question, en dépit des fulminations furieuses de quelques activistes juifs agités, mais le sujet a sans surprise disparu de tout débat public.

En dépit de sa vaste fortune, de sa riche histoire, et d'un énorme prestige sur la scène mondiale, l'Université de Harvard semblait nettement trop intimidée par les attaques lancées par Trump pour défier ce dernier, et au lieu de cela, elle a commencé à accorder concession sur concession.

Mais l'administration Trump a naturellement interprété ces concessions comme une signe de faiblesse, et a graduellement augmenté ses exigences, et fini par envoyer  une lettre demandant  une reddition totale de la liberté académique de Harvard. Cela s'est apparenté à une prise de contrôle fédérale par le gouvernement de Trump et par la dame milliardaire issue du monde du catch qu'il a désignée pour gérer ses politiques éducatives.

Confrontée à une perspective aussi terrible, l'institution universitaire la plus élitiste du monde a fini par décider qu'elle allait tenir bon, et la semaine passée, Harvard a  rejeté publiquement et fermement cette proposition. Ce courage a déclenché un énorme vague de couverture médiatique nationale, notablement dans le New York Times, cependant qu'un Donald Trump en colère  menaçait illégalement de révoquer le statut non lucratif de Harvard et fondamentalement de détruire l'université.

Durant plus de quarante-cinq années, je suis resté abonné à l'édition papier du Times, et je l'ai lu en détail presque tous les matins. Mais au cours des dernières années, j'ai senti mon dégoût augmenter en constatant le déclin rapide de sa qualité, son objectivité ayant été submergée par des enthousiasmes idéologiques, et en début de cette année j'ai fini par abandonner mon abonnement.

Mais j'ai conservé mon abonnement en ligne, et je jette tranquillement un coup d'œil quotidien à la page d'accueil du Times, en lisant parfois un ou deux articles. J'ai rapidement découvert que le match politique opposant Trump à Harvard avait déclenché une énorme avalanche d'articles, dont au moins dix-huit articles différents rien que durant les premiers jours, signés par presque trente différents auteurs du journal. Par le passé, aucune opposition à Trump n'avait soulevé ne serait-ce qu'une fraction de cette couverture, ce qui démontre clairement l'importance politique spectaculaire de ce duel de Trump contre Harvard.

À la lecture de tous ces articles, j'ai trouvé que la plupart d'entre eux étaient plutôt bons. Certains étaient signés par les noms des auteurs familiers qui avait déjà couvert notre campagne ratée du Conseil de Surveillance de Harvard, ou le procès lancé par des familles asiatiques contre Harvard qui avait amené la Cour Suprême à revenir sur l'arrêt Bakke. J'ai même remarqué quelques articles écrits par l'un des jeunes journalistes du Crimson d'Harvard qui avait couvert cette campagne de 2016, et qui s'occupe désormais des politiques d'imposition et de l'IRS pour le Times.

Plusieurs de ces articles soulignaient que la décision de Harvard de tenir bon et lutter avait désormais inspiré de nombreuses autres universités étasuniennes à en faire autant au nom de la liberté académique, et mon journal local de Palo Alto a rapporté que la puissante Stanford soutenait pleinement l'effort initié par Harvard. Mais si la puissante Harvard avait abandonné,  les experts convenaient qu'aucune autre université n'avait osé résister.

Les conséquences de la bataille opposant Trump à Harvard s'étendent sans doute bien au delà des seuls sujets d'éducation.

Selon la Constitution des États-Unis, toute modification de la politique d'imposition ou de barrières douanières doit être adoptée au Congrès, mais lorsque Trump a fait monter nos barrières douanières d'un facteur 10, il a usé d'un décret d'urgence et d'un caprice personnel, sans que quiconque au Congrès ne lève la voix contre lui. La doctrine légale de l'habeas corpus remonte à plus de 700 ans dans la loi britannique, mais lorsque Trump a déclaré que celle-ci ne s'appliquait plus à notre société, il n'a été confronté qu'à de faibles réponses. Des équipes d'agents fédéraux masqués ont enlevé des étudiants en pleine rue pour les jeter dans des voitures banalisées pour avoir écrit des éditoriaux critiques à l'encontre d'Israël dans le journal du campus, et ceci s'est produit sans la moindre opposition digne de ce nom.

Des décennies de précédents juridiques ont établi que le président n'a pas le droit de révoquer les membres d'agences indépendantes, ni d'abolir ces corps s'ils ont été établis par le Congrès. Pourtant, c'est exactement ce à quoi Trump s'est employé, qui a revendiqué récemment  le droit de destituer le président de la Réserve Fédérale indépendante, des pouvoirs qu'aucun président avant lui n'avait jamais demandés.

Même en temps de guerre, nos présidents ont le plus souvent demandé l'autorisation du Congrès pour mettre en œuvre des politiques majeures, mais Trump a totalement ignoré ce cadre constitutionnel. Je ne pense pas qu'un président avant lui ait établi un tel régime d'autorité d'un seul homme sur les politiques étrangères, économiques et intérieures, surtout par le gouvernement via une suite de décrets d'urgence, et ce d'une manière extrêmement erratique. Cela semble rappeler bien davantage les caudillos de nations latino-américaines turbulentes que le système constitutionnel étasunien. Un podcaster britannique de droite qui m'a interviewé a suggéré que Trump lui rappelait Caligula.

Mais Harvard est devenue la première institution étasunienne puissante à défier directement la gouvernance outrageusement autocratique de Trump, et cela explique évidemment les dix-huit articles et les trente auteurs que le Times a assigné à ce sujet.

Aussi, malgré le long historique d'arrogance, de corruption, d'incompétence administrative et d'injustice qui aura marqué Harvard, cette université tient désormais le flambeau de la liberté étasunienne, alors même que presqu'aucun autre des centres de pouvoir majeurs n'a voulu le faire.

Ainsi, le combat de catch politique entre Trump et Harvard pourra aider à déterminer non seulement l'avenir de notre système d'éducation supérieure, mais également l'ensemble de notre système constitutionnel, et toute personne ayant les idées au clair devrait prendre fait et cause pour le camp de l'université.

Il y a plusieurs mois, j'ai été interviewé par une petite organisation médiatique chinoise. Dans l'une des vidéos, visualisée bien au-delà du demi-million de vues, j'ai suggéré que les États-Unis puissent être à l'aube d'une situation révolutionnaire, et que les désillusions publiques vis-à-vis des politiques de Trump puissent provoquer ce renversement spectaculaire.

Lien vers la vidéo

Peut-être ou peut-être pas que cela a influencé un TikToker chinois vivant au Canada, dont la vidéo très regardée décrit quelque chose de ressemblant, et le professeur John Mearsheimer en discute dans une vidéo récente.

Lien vers la vidéo

Toutes ces graves tensions sociales et économiques au sein de la société étasunienne expliquent le soutien énorme que Trump a reçu de la part de sa base populiste.

Mais ce soutien est totalement injustifié. Contrairement à ces espoirs et à ces attentes, Trump est un gros ignorant et ne constitue guère que la marionnette politique des oligarques milliardaires sionistes qui le contrôlent.

Ron Unz

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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